Filou d'Anjou et Eric Beudard, un duo qui sort du cadre
Filou d’Anjou tente une nouvelle fois sa chance dans le Prix Yvonnick Bodin, le Groupe 3 sous la selle au sommet du programme réservé aux apprentis et lads-jockeys. L’an dernier, il avait échoué du minimun face à celle qui allait remporter le Prix de Cornulier (Gr.1) quelques semaines plus tard. La riche carrière de Filou d'Anjou aurait pu s’arrêter très vite. Sa rencontre avec Eric Beudard, un entraîneur du Maine-et-Loire au profil complètement atypique, en a décidé autrement. Pour leur plus grand bonheur respectif.
Rembobinons les courses. Il y a un an, le 30 décembre 2023, dans le Prix Yvonnick Bodin (Gr.3), Filou d'Anjou (Othello Bourbon) anime grand train l’épreuve et se fait ajuster sur le fil par Esperanza Idole (Quido du Goutier). La course qui est surnommé le "Cornulier des apprentis" sera le tremplin gagnant vers le sacre de la jument de Noël Langlois dans le Prix de Cornulier (Gr.1), le "vrai", trois semaines plus tard. Filou d’Anjou était monté comme souvent par Marine Beudard, la fille de l’entraîneur de Filou d’Anjou, Eric Beudard. Cette course n’a pas quitté la mémoire du professionnel qui nous confie : "Le souvenir est ambivalent. On était à la fois très heureux car le cheval faisait une super course, battu d’un rien. Et on était en même temps extrêmement déçus car cela aurait pu être la 50ème de Marine ce jour-là. Le faire dans le Prix Yvonnick Bodin aurait été le graal."
La drôle de rencontre Filou d’Anjou/Eric Beudard
C’est la réputation d’entraîneur capable de s’occuper avec succès de chevaux compliqués qui a conduit Filou d’Anjou chez Eric Beudard. Après avoir été débourré par son coéleveur et copropriétaire Eric Crepeau, Filou d’Anjou a débuté sous sa responsabilité. Après quatre courses (sans classement notable), le cheval intègre les boxes d'Eric Beudard qui relate : "Comme il était très compliqué, je n’étais pas sûr de pouvoir l’emmener sur un champ de courses. J’ai alors décidé de le présenter en requalification alors qu’il n’en avait pas besoin pour voir son comportement. Je ne voulais pas faire de chrono mais il s’est requalifié malgré moi ! Lors de ses premières courses, il était fou furieux puis, petit à petit, on a trouvé les bons réglages. Le premier qui l’a monté a été Mathieu Mottier. Il m’avait dit que cela ferait un bon cheval. Puis il y a eu Benjamin Rochard. Quand ma fille Marine a commencé à prendre de l’expérience, elle a repris le flambeau. En fait, Filou a bien formé Marine aussi. Ils ont gagné 10 courses ensemble."
Filou d’Anjou : un cheval à la santé fragile
Eric Beudard : "Il a connu beaucoup de problème de santé dans sa carrière. Il a d’abord des jambes fragiles et a bougé dès l’âge de 4 ans. Sur les conseils de nos vétérinaires, il n’a jamais été déferré des antérieurs au monté. Si on l’avait fait, il aurait peut-être 100.000 ou 150.000 € de plus ou serait aussi depuis longtemps dans un champ, arrêté à cause de ses jambes. Quand il avait 5 ans, on a pris l’option de privilégier le confort et la sécurité plutôt que la vitesse."
Les différentes vies d'Eric Beudard
Même s’il n’a pas grandi dans une famille du sérail, Eric Beudard a vite côtoyé le milieu hippique. Originaire de Craon, le jeune homme est biberonné aux courses. Il ne manque aucune des "Trois Glorieuses", le week-end hippique le plus populaire de France en province. Et puis, il y a les frères Tribondeau. Ces Craonnais élèvent et font entraîner chez eux à la lisière de la ville. Né en 1969, Eric Beudard suivra la saga de leur star
Ianthin (Vésure T). Dès qu'il le peut, il ira sortir des chevaux de leur écurie et côtoiera les autres vedettes
Libogo (Vésuve T) et
Omnifer (Vésuve T). Quand l’écurie entre en sommeil dans les années 1980, il continue à quelques kilomètres de là, chez Christian Boisson. Cela n’empêche pas le jeune homme de faire des études. Diplômé de l’Ecole de commerce d’Angers (ESSCA), il commencera comme cadre dans le secteur de l’Interim, chez Adecco. Vite responsable des agences du Maine-et-Loire, il exerce sa passion hippique en parallèle et commence à se produire dans les courses d’amateurs. Il fait d’Ecuillé, non loin d’Angers, sa base. Achète maison et terrain, construit piste et bâtiment. Il développe sa structure avec l’idée d’y installer un entraîneur particulier. Mais ses différents essais ne le satisfont pas. Parallèlement, il craint que son business n’entre en récession. Nous sommes au début des années 2000.
"Après avoir connu les belles années de l’Interim, avec des croissances à deux chiffres, je savais que le temps approchait où j’allais devoir licencier du personnel, fermer des agences." Bref, la conjonction d’événements le pousse à se lancer en 2006/2007 dans un nouveau projet incongru dans sa position : celui de devenir entraîneur. Il plaque son travail de cadre bien rémunéré. Peu après, la crise de 2008 lui donnera raison. Pendant quelques années, Eric Beudard enchaîne des petits boulots et développe sa structure. Il suit une formation BPREA (BP Responsable d'Entreprise Agricole) au Lycée Agricole de Laval à distance.
"C’est une histoire de destin. Ce n’était pas prévu au départ, ni écrit. Mais les événements ont fait que je suis devenu entraîneur par des voies parallèles." C’est en 2013 qu’Eric Beudard devient professionnel des courses.
"J’ai alors fait ce que j’avais vraiment envie de faire."©ScoopdygaFilou d'Anjou Un mentor et deux figures tutélaires au trot
Le parcours professionnel d'Eric Beudard dans les courses emprunte nombre de chemins de traverse et est riche de rencontres importantes.
"Dans les années 2000, j’ai rencontré un cavalier avec un parcours atypique qui avait côtoyé l’équipe de France de concours complet. Il m’a ouvert de nouveaux horizons. Je dis souvent qu’il m’a tout appris sur les chevaux. On était aux antipodes ce qu’on voyait à l’époque dans le trot. Il était dans l’observation, le respect de l’intégrité physique. Il raisonnait en termes de carrière et de manière globale. C’était un vrai homme de cheval. J’ai gardé ses principes et je débourre par exemple mes chevaux au pas. Si j’ai réussi avec des chevaux compliqués, c’est grâce à lui. C’est aussi pour cela que mes chevaux sont très peu enrênés. Il m’a donné des clés qui me servent encore."
Dans le cadre de ses expériences dans l’univers trotteur, Eric Beudard cite deux figures exemplaires chez qui il a beaucoup appris : Jean-Paul Marmion et Jean-Marie Monclin.
"J’ai beaucoup plus appris en côtoyant ces trois personnes que lors des mes années à l’école dans le domaine hippique."
Un homme de convictions et d’engagements
Que l’on parle élevage, bien-être animal ou paris hippiques, Eric Beudard a ses convictions, qu’il argumente. Sélection.
■
"Travailler dans le respect du cheval et de son intégrité physique, c’est aussi une question de rentabilité. Cela coûte tellement cher d’élever et d’amener un cheval aux courses qu’on doit, quand on est comme moi, souvent éleveur et propriétaire, essayer de tirer le meilleur parti du potentiel de chaque cheval. Avec des chevaux normaux, sans super papier, quand on les respecte, on peut obtenir de bons résultats."
■
"L’élevage coûte beaucoup trop cher avec des prix de saillies trop élevés. Cela entraîne un prix de revient d’un trotteur avant qu’il n’arrive sur un hippodrome à un niveau prohibitif pour trop de monde."
■
"J’ai peur que le stud-book français n'ait pris du retard en n’ayant pas intégré plus vite, de manière contrôlée avec des règles strictes, le meilleur sang étranger. On aurait dû pouvoir aller à Varenne, Maharajah, Readly Express, des étalons étrangers qui ont gagné le Prix d’Amérique. Cela aurait du sens. Parallèlement, je trouve anormal qu’on ait "bradé" des saillies de Ready Cash sur les marchés étrangers où elles coûtaient moins cher qu’en France. Il y a une distorsion de concurrence anormale. C’est même un miracle qu’on ait eu en France Ready Cash qui a été sans doute le meilleur étalon du monde mais aussi chez nous l’arbre qui cache la forêt. Sans lui, on serait sans doute dans une situation dramatique. C’est pourquoi, je pense qu’on a tout intérêt à aller chercher le meilleur sang étranger."
■
"On ne développe pas assez la prise de paris sur internet. On devrait pouvoir jouer sur toutes les courses françaises. La vie est sur les Smartphones. Les supporters de Guarato ne peuvent jouer ses chevaux que sur les courses Premium. C'est frustrant à notre époque et génère des pertes de revenus pour les courses." Inès Fraigne et Benjamin Chauve-Laffay à 49 victoires
Drôle de scénario. Filou d’Anjou aura comme partenaire Inès Fraigne ce samedi. La lad-jockey au service de Loïc Désiré Abrivard affiche… 49 victoires. Comme Marine Beudard l’an dernier ! Inès Fraigne découvrira sa monture samedi. L’association a été décidée lors des derniers jours car le plan initial était de déclarer Tamara Mathias-Maisonnette mais cette dernière a finalement été retenue sur un cheval de son employeur, Loïc Lerenard, Heden Cruz (Apprenti Sorcier). "Ma seule inquiétude avec Filou d’Anjou est le départ. Il faut bien le tenir et qu’il n’y ait pas trop de faux départs. Ensuite, il est capable de tirer du train." Autre participant dont le compteur affiche 49 victoires (et ce depuis le 30 septembre), Benjamin Chauve-Laffay sera associé à Invictus Madiba (Booster Winner), un candidat peu expérimenté sous la selle.