Hallais-Dersoir, le duo à l’épreuve du temps

Impossible de parler de l’Étrier sans que leurs noms ne surgissent très rapidement, encore plus à quelques jours d’une nouvelle édition du Prix de Cornulier (Groupe 1). Joël Hallais, le recordman du nombre de victoires (huit) chez les entraîneurs, et Jean-Loïc Dersoir, le jockey en activité le plus titré avec quatre succès, sont deux incarnations du trot monté. Leur réussite, commune ou séparée, dans l’épreuve reine a traversé les décennies. Le premier des huit succès de l’entraîneur avec Kaiser Trot (Canino) date de plus de quarante ans, alors que le second a fêté l’an dernier les trente ans de sa première victoire en selle sur Tout Bon (Levorino). Dimanche, ce tandem sera formé pour la dix-neuvième fois au départ du Prix de Cornulier, avec l’une des juments les plus en vue, la 6 ans Ina du Rib (Uhlan du Val).

Àeux seuls, les chiffres donnent une idée de la longévité de leur carrière. Dimanche, Joël Hallais va présenter ses 43e et 44e partants depuis le début des années 1980 dans le Prix de Cornulier (Groupe 1), avec Ina du Rib (Uhlan du Val) et Hirondelle du Rib (Rolling d’Héripré). Si l’aînée a disputé les deux dernières éditions avec à la clé une sixième place l’an dernier, la cadette, double lauréate de Groupe 1 avec ses succès dans le Prix de Normandie - Étrier 5 Ans Finale et le Prix Bilibili - Cornulier Races Q2, est sans conteste la mieux placée des deux pour apporter à l’entraîneur normand un neuvième titre ! En 1981, Joël Hallais est un jeune entraîneur d’à peine 34 ans quand Kaiser Trot, vainqueur du Prix du Président de la République l’année précédente - "j’ai toujours considéré que ce succès était mon premier Groupe 1

quand bien même j’en avais gagné un avant avec Darold II (Prix de Normandie), mais je ne me suis jamais estimé comme l’entraîneur car j’avais reçu le cheval de chez Éric Martin trois semaines avant la course", confiera-t-il à ce sujet dans Province Courses l’Hebdo en juillet 2021 - lui permet de remporter trois éditions du Prix de Cornulier entre 1981 et 1984. C’est le début de l’empreinte "Hallais" sur la plus grande course au monté.
Au fil des ans, six autres succès, d’Oligo (Ersin) à One du Rib (First de Retz), tous deux doublement titrés, en passant par Tout Bon, viendront compléter la collection de celui que l’on appelle "Monsieur Cornulier", lequel ne l’a encore jamais gagné avec une femelle. Ina du Rib ou Hirondelle du Rib sera-t-elle la première ? Quand bien même, son dernier succès remonte à 2010, Joël Hallais demeure LA référence de l’Étrier, sans parler de ses autres grandes victoires, à commencer par celles dans le Prix du Président de la République au nombre de six ou celles du Prix des Centaures qu’une seule main ne suffit pas non plus à compter. Des résultats qui n’occultent pas que le professionnel normand est aussi un entraîneur de sept vainqueurs de Critériums et de quatre autres Groupes 1 à l'attelé.


Cette permanence des résultats au plus haut niveau à travers les décennies est une exception dans une discipline qui n’a cessé d’évoluer et s’est même transformée depuis l’adoption généralisée de la monte en avant. "Quand Kaiser Trot remportait le premier de ses "Cornulier", il trottait en 1’21’’ sur une distance à peu près similaire, rappelle Joël Hallais à ce sujet. Cette année, pour gagner, en fonction de l’état de la piste, il faudra trotter entre 1’11’’ et 1’12’’. Sur le temps global, la différence est énorme !" En plus de quarante ans, les évolutions ont été marquantes. "Les pistes se sont beaucoup améliorées comme les chevaux, poursuit l’homme du Haras de Ribardon. Ce n’est d’ailleurs pas tant le modèle qui a changé. Par exemple, Kaiser Trot n’était pas doté d'un grand modèle mais était un petit cheval trapu, très porteur. Oligo était lui un grand cheval plein de sang dont on avait toujours un peu de mal à tenir la condition. "Hirondelle" se rapproche plutôt du modèle dit "ancien", alors qu’"Ina" est plus près du sang."


Joël Hallais jette son œil de spécialiste sur cette évolution : "La monte en avant a beaucoup favorisé la vitesse. Maintenant, on s’aperçoit que les chevaux ont du mal à passer les années. Ceux qui démarrent leur carrière très tôt ont du mal à tenir dans le temps. L’évolution du trot monté a permis d’avoir des courses beaucoup plus belles qu’auparavant, ce que favorisent le changement de monte et la vitesse des chevaux. À partir du moment où il y a une amélioration, ça ne peut être que positif. Quant à la domination actuelle des femelles sur la discipline, je n’y vois pas de raison particulière. Je pense que ce sont plus les circonstances actuelles qui font que les femelles dominent".





Pendant toutes ces années, le travail de Joël Hallais, que ce soit à l’entraînement ou à l’élevage, a évolué forcément aussi mais le professionnel a toujours gardé la notion d’artisanat ô combien importante à ses yeux. "C’est un travail d’artisan. J’essaye d’être très proche de mes chevaux de façon à les préparer au mieux, avance-t-il comme pour définir la conduite qui l’a constamment guidée. C’est une présence au quotidien, un suivi permanent pour ne rien laisser passer. C’est le travail d’une équipe et avant tout le travail d’artisans qui sont à mes côtés. À l’époque où j’avais une grosse "cavalerie" avec environ 80 chevaux, j’étais peut-être moins présent sur chaque cheval. Aujourd’hui, j’ai une petite écurie. Cet hiver, j’en ai moins de vingt par exemple."
Dès lors, avoir deux partants dans le Prix de Cornulier avec Ina du Rib et Hirondelle du Rib, qui sera confiée au jeune Noé Perron qui l’a découverte en compétition dans le Prix Jules Lemonnier, est d’autant plus remarquable. "Les amener au départ dimanche est un réel plaisir, de la fierté aussi et surtout de la satisfaction de les avoir élevées et entraînées en me disant que je suis toujours là, juge Joël Hallais. J’ai la chance que la nature m’ait doté d’un bon physique. Le fait de continuer à travailler, de faire ce que j’aime contribue à me maintenir en forme. Il faut profiter le plus longtemps possible."




Cet état d’esprit, Jean-Loïc Dersoir le partage dans sa condition de jockey qui a traversé les années, au gré des modes et des évolutions. Depuis qu’il a été sacré Champion de France des apprentis à 19 ans, il a remporté six titres d’Étrier d’Or, a gagné à plusieurs reprises les plus grandes épreuves, tant et si bien qu’il est à la tête d’un palmarès de plus de vingt Groupes 1 au monté, et a réussi, ce qui n’est pas le moindre des faits marquants, à s’adapter au changement si radical de la monte en avant. À 51 ans, le fils de Roland Dersoir est ainsi une exception de longévité au plus haut niveau chez les jockeys français, au même titre au galop qu’Olivier Peslier ou Gérald Mossé. "Le but est toujours de monter de bons chevaux, encore plus quand on prend de l’âge, répète-t-il régulièrement après ses derniers grands succès. Je suis en pleine forme, je n’ai pas de soucis de poids, ni physique, et j’ai la chance de conserver beaucoup de souplesse." En somme, comprenez que Jean-Loïc Dersoir est décidé d’essayer de monter le plus longtemps possible. "Pour tout vous dire, cela ne me demande pas beaucoup de sacrifices pour l’instant de continuer à monter, nous répondait l’an dernier dans ces colonnes à ce sujet celui qui a participé à toutes les éditions du "Cornulier" entre 1992 et 2016. Sans compter qu’avoir des bons chevaux sous la selle me pousse aussi à continuer et à faire les efforts nécessaires. Je ne monte plus à l’entraînement ou que très rarement. Le fait de monter encore régulièrement en courses me suffit."


Pour cela, il peut notamment compter sur le "réservoir" que constitue l’élevage de son beau-père qui lui permet d’être associé à des chevaux de la valeur d’Hirondelle du Rib et Ina du Rib qui lui ont apporté trois nouveaux Groupes 1 entre juin 2021 et décembre 2023. "Gagner des Groupes 1, ce sont des supers moments. Je savoure de plus en plus car je ne devrais plus en gagner beaucoup...", confiait-il encore après son succès dans le Prix Bilibili - Cornulier Races Q2. "Jean-Loïc est un sportif naturel. Il ne peine pas, il est bien à cheval. C’est vraiment naturel chez lui, commente pour sa part Joël Hallais. Il a toujours été posé à cheval d’une façon remarquable. Comme tous les bons jockeys passés à l’écurie, il était bon naturellement. Mon seul travail a été de ne pas les avoir empêchés d’être bons."