Esperanza Idole, une gloire quasi miraculeuse

Une victoire dans le Prix de Cornulier (Gr.1) n'est jamais une victoire comme les autres. Mais celle d'Esperanza Idole est totalement incroyable. Dans l'avant-course d'abord avec une jument qui a failli ne jamais arriver à Vincennes après un accident en début de voyage. Tout aurait pu s'arrêter à 7 heures du matin. Quant à son partenaire et indissociable héros du jour, Jean-Yann Ricart, lui aussi aurait pu ne pas prendre part à la course, la faute à une sévère chute à l'entraînement il y a un peu plus d'une semaine. Incroyable victoire encore dans le déroulement de course. La jument de Noël Langlois est venue arracher la gloire dans les derniers mètres, centimètres même, et ce, après que son jockey a actionné plusieurs fois les œillères basculantes de sa partenaire, à plusieurs endroits du parcours.

Incroyable mais aussi miraculeuse victoire pour Esperanza Idole (Quido du Goutier) dans le Prix de Cornulier (Gr.1) 2024. Non pas dans le sens où la victoire n'aurait pas dû lui revenir. De ce côté-là, le sacre est net et sans bavure. Les battus du jour, dont Joël Hallais en tête, qui a vu sa représentante Hirondelle du Rib (Rolling d'Héripré) lui filer la gloire dans les derniers mètres, déclarera dans l'après-midi : "La course a été limpide. La meilleure a gagné, il n’y a rien à dire." Non, il faut parler d'un sacre et d'une gloire miraculeuse comme l'enchaînement d'événements qui auraient pu tout simplement mettre à mal la participation de la lauréate (lire plus loin). Avec sa victoire, Esperanza Idole met aussi en lumière un professionnel et toute la région du Sud-Ouest. Noël Langlois présentait son premier partant dans un Groupe 1. Il a très, très bien fait !

Noël Langlois est heureux et n'en revient pas tout à fait. À chaud, il nous confie : "On a tenté. Gagner le Cornulier, c’est énorme. Je suis surpris et ne réalise encore pas trop. C’est un métier de passion dans lequel il faut tenter."

Une journée qui commence très mal
Et si le plus dur dans la victoire du jour avait eu lieu, beaucoup plus tôt dans la journée, tôt le matin, lors du long voyage qui a conduit Noël Langlois, son équipe et Esperanza Idole, sur la ligne de départ du Prix de Cornulier ? Le professionnel, installé à Montendre dans le département de la Charente-Maritime, nous apprend ainsi : "Ce matin, on a eu un accident. On est partis à 6 heures et à 7 heures et demie, alors qu’il y avait du verglas, une conductrice est venue taper le long du rail et son véhicule est rentré dans notre camion. Le camion est out. La jument semblait ne rien avoir. On l’a sortie et l’avons marchée. Elle semblait bien. J’ai appelé mon copain Benoït Olicard qui était à une heure de là. Il m’a dit j’arrive et m’a prêté son camion. Cela débutait mal et cela a gâché notre arrivée. On voulait arriver de bonne heure et manger avec des amis. Cela n’a pas été possible. On est arrivé à 13 heures. La jument ne fait jamais de heat. Elle marche beaucoup et on a fait comme d’habitude."


Une lutte finale entre des juments qui ont pris des risques
C'est dans les tout derniers mètres qu'Esperanza Idole est venue subtiliser la victoire à Hirondelle du Rib (Rolling d'Héripré). Nullement impressionné par les enjeux, Noé Perron avait demandé à sa partenaire Hirondelle du Rib de relayer en tête Hanna des Molles (Village Mystic) peu après la marque du dernier kilomètre. Elle ira très très loin, seulement battue par une autre courageuse qui aura voyagé nez au vent dans la montée et sera seule dans le troisième couloir dans le dernier tournant. Un parcours compliqué au sujet duquel Noël Langlois nous commente : "En montant, je me faisais des cheveux blancs car je trouvais qu’elle était un peu en dehors. Quand Jean-Yann lui a abaissé les oeillères à la fin, elle est repartie comme si elle prenait un nouveau départ. Je pensais vraiment qu’elle pouvait être quatrième ou cinquième. La jument était restée bien au travail et a toujours pu s’exercer car nos pistes sont restées bonnes malgré le gel."

Des œillères utilisées deux fois
Avec Esperanza Idole, c'est aussi le sacre d'un jockey, que l'on voit moins que d'autres à Vincennes. Jean-Yann Ricart a fait preuve d'un exceptionnel sang-froid pour activer deux fois les œillères de sa partenaire : "J’ai baissé les œillères une première fois pour passer Gold Voice dans le dernier tournant mais elle n’a pas vraiment répondu. Je les ai relevées pour les rebaisser à l’entrée de la ligne d’arrivée. Et elle a remis son coup de reins. À 100 mètres du poteau, ma jument ne baissait pas de pied alors que les autres venaient à nous. À 50 mètres du but, je savais que c’était fait."

Une querelle de famille avec Flamme du Goutier

Entrée tard au haras, à 11 ans, Fan Idole n’a eu que six produits, mais tous ont gagné. Esperanza Idole est son chef-d’œuvre. Elle l’a eu des œuvres de Quido du Goutier 1’12’’ (Extreme Dream), qui fut un vrai bon cheval, à l’aise dans les deux disciplines, vainqueur d’une demi-douzaine de Groupes 2, attelés et montés, et triple placé de Groupe 1. Or, Quido du Goutier se trouve être le frère de la semi-classique Utopie du Goutier 1’13’’ (Kaisy Dream), d’où la championne et double tenante du titre, jusqu’à ce jour, dans le « Cornulier », Flamme du Goutier 1’09’’ (Ready Cash), battue, cette fois, par une jument qui, d’une certaine manière, est une parente.

■ Noël Langlois
→ Entraîneur depuis 1998
→ 718 victoires comme entraîneur
→ 1 Groupe 1 (Prix de Cornulier 2024)

■ Jean-Yann Ricart
→ Licence en 2011
→ 139 succès (11 à l'attelé et 128 au monté)
→ 2 Groupes 1 (Prix de Vincennes 2017 avec Eveil du Châtelet et Prix de Cornulier 2024)

L'angoisse des dernières heures avant la course, et l'accident vécu par la gagnante pour rejoindre Vincennes, n'a pas épargné le jockey de 29 ans qui nous apprend : "Je suis chanceux. C’est incroyable. Une jument au top, un entraîneur au top. Comme je n’étais pas au courant en direct pour l’accident, cela me mettait un peu de pression car des gens m’appelaient pour m’en parler alors que j’étais sur la route. Je n’osais pas appeler Noël car, s’il y avait un problème, je ne voulais pas lui mettre un peu plus de pression. Au bout d’un moment, il fallait se renseigner. Il m’a dit que tout allait bien et un quart d’heure après, ils étaient là."

Un jockey avec 15 points de suture !
On apprend encore que la jument n'est pas la seule à avoir connu un accident en amont de la course. Jean-Yann Ricart aussi, de manière un peu plus lointaine, il y a une dizaine de jours mais suffisamment sérieux pour générer lui aussi des inquiétudes. Il nous relate ces derniers événements : "La jument n’a failli pas venir et il y a une semaine et demie, je suis tombé à l’entraînement. J’ai eu quinze points de suture à la jambe. Je n’ai pas monté depuis quinze jours. L’histoire est incroyable. Il y a une semaine et demie, je ne savais pas si j’allais courir le Cornulier. J’ai serré les dents, j’en ai parlé à pas grand monde. J’ai fait du sport chez moi. Cela aurait pu être un mauvais jour pour moi aujourd’hui et c’est un jour exceptionnel. L’histoire est magnifique. Le boulot qu’ont réalisé Noël et son équipe est exceptionnel."




■ Joël Hallais a pu croire à la victoire quand au début de la ligne d'arrivée, ses deux représentantes, Hirondelle du Rib et Ina du Rib, occupaient les deux premières places. Hirondelle sera finalement deuxième et Ina quatrième. Il nous a déclaré : "Je suis très heureux pour Hirondelle qui a été bien montée. Ina du Rib n’était pas à l’aise dans ses allures dès en partant. Le déferrage ne lui a pas été très utile aujourd’hui. Elle a toujours été sur la réserve et s’est retrouvée nez au vent à 800 mètres de l’arrivée. Ce n’est pas pour elle. On y a cru pourtant."
L'homme aux huit "Cornulier" a aussi rendu hommage au vainqueur : "Je suis très heureux pour Noël Langlois. Qu’un professionnel du Sud-Ouest gagne cette belle course, c’est bien. Il faut que cela tourne entre les régions et c’est la belle histoire des courses. Cette victoire rappelle aussi la championne Fan Idole, la mère de la gagnante."
■ Paul Ploquin (Idéale du Chêne - 3e) : "La jument a été parfaite, moi moins. J’ai pris les mauvaises options dans la montée, derrière des chevaux qui n’avaient pas de gaz. Ensuite, j’ai réussi à la glisser à l’intérieur, en la faufilant le long du rail. En fait sa course n’a commencé qu’aux raquettes de départ. C’est seulement là qu’elle a pu s’exprimer. Elle a eu un finish énorme et évidemment c’est très bien."
■ Thierry Duvaldestin (Flamme du Goutier - 5e) : "Je suis satisfait de sa prestation. La jument a pu bénéficier d'une bonne course et ne s'écrase pas pour finir mais a conclu moins vite que les autres. On est fier d'elle. La question se pose pour la suite, entre le Prix d'Amérique et le Prix de l'Île-de-France. Cela dépendra aussi de sa récupération."



C’est à plus de cinq cents kilomètres de Vincennes, chez lui à Sousmoulins dans le département de la Charente-Maritime, que Serge Laroche, qui a co-élevé la gagnante du Prix de Cornulier 2024 avec son fils Frédéric, a assisté à la victoire d’Esperanza Idole. Invité avec son épouse à un déjeuner chez des amis, ils se sont éclipsés et sont retournés chez eux assister le temps de la course. "Sur le coup, j’ai eu du mal à y croire, concède cet ancien agent Renault qui élève par passion. Au fond de moi, j’espérais qu’elle pourrait prendre une place car je savais qu’elle était amenée au top par Noël Langlois et j’ai confiance en Jean-Yann Ricart qui a monté une course idéale. Gagner c’est extraordinaire ! Ça représente beaucoup de choses. On avait déjà eu énormément de chance avec Fan Idole, sa mère. Alors voir sa fille maintenant gagner le "Cornulier"... Je ne peux pas être plus satisfait ! Je vais bien dormir." Depuis l’arrivée, le téléphone de Serge Laroche ne cesse de sonner. "Mon fils et mes petits-fils m’ont aussitôt appelé. On va fêter ça tous ensemble la semaine prochaine. Bien sûr, on éprouve de la fierté", commente l’éleveur de 85 ans. S’il n’avait pas encore pu échanger avec Noël Langlois - "je n’ai pas osé le déranger car il devait être très occupé, surtout avec la journée qu’il a eue" -, Serge Laroche a déjà prévu de se rendre demain (lire lundi) en fin de matinée chez l’entraîneur dont l’établissement est situé à une petite dizaine de kilomètres. Avant cela, il se plonge dans ses souvenirs quand Esperanza Idole n’était encore qu’une pouliche : "Elle avait son petit caractère mais était gentille et facile dans l’ensemble". Depuis la disparition de Fan Idole en 2021, Serge Laroche éprouve un vide qu’Esperanza Idole pourra combler quand elle reviendra chez lui à l’issue de sa carrière : "Je n’ai plus de chevaux à la maison et il me manque quelque chose".