Esperanza Idole : les gènes et les jambes

Esperanza Idole 1’12’’ m. (Quido du Goutier) a créé la surprise dans le Prix de Cornulier (Groupe 1). Génétiquement et sportivement, elle avait pourtant le parfait profil pour bien faire dans une course comme celle-là, à plus forte raison du haut de ses 10 ans. Explications et illustrations.

Il faut avoir de la "bouteille" pour gagner le Prix de Cornulier (Groupe 1) ! Esperanza Idole (Quido du Goutier) est, ainsi, le quatrième cheval âgé de 10 ans à s’imposer dans la grande course au cours des dix dernières éditions de celle-ci.
Ce sont, en l’espèce, exclusivement des femelles, qu’il s’agisse, en prélude à la tenante du titre, de Roxane Griff (Ténor de Baune), en 2015 – lauréate également, à 9 ans, en 2014 –, de Scarlet Turgot (), l’année suivante, ou de Bahia Quesnot (Scipion du Goutier), en 2021. Vainqueur en 2019 et en 2020, Bilibili (Niky) était alors âgé de 8 ans et de 9 ans, ce qui est aussi un âge avancé, tandis que Flamme du Goutier (Ready Cash) avait 7 ans, puis 8 ans lors de ses sacres de ces deux dernières années.

La référence à Fan Idole et à son père, Le Ham

En matière de longévité et de robustesse, Esperanza Idole a, il est vrai, de qui tenir avec pour mère une jument de la trempe de Fan Idole 1’09’’ (89 courses, de 2 à 10 ans, pour 37 victoires, 33 places et 2.184.369 euros de gains). Celle-ci ne courut certes pas montée, mais le moins que l’on puisse écrire est qu’elle fit ses preuves dans la durée, une qualité qu’elle a léguée à sa fille (87 courses, de 2 à 10 ans, pour 16 victoires, 43 places et 853.230 euros de gains). Fan Idole était par l’élève d’Albert Viel Le Ham 1’17’’, qui était lui-même un cheval attelé, du niveau des épreuves à tiercé de son époque, mais qui, étalon dans le Sud-Ouest, a souvent légué l’aptitude montée, donnant notamment Challenger de Mye 1’14’’, un gagnant du semi-classique Prix Henri Ballière (Groupe 2), à Caen, et, plus encore, Alligator 1’15’’, vainqueur du Prix d’Essai (Groupe 1) et du Saint-Léger des Trotteurs (Groupe 1). Or, ce dernier est le père de Migraine 1’13’’ m., qui enleva un Prix du Président de la République (Groupe 1), avant de devenir la mère du champion attelé Etonnant 1’09’’, lequel ne manque cependant pas de références sous la selle, discipline dans laquelle il est gagnant de Groupe 2 (Prix Olry-Roederer et Legoux-Longpré) et de Groupe 3 (Prix Auguste François), ainsi que placé de Groupe 1 (deux fois deuxième du Prix de l’Ile-de-France, cinquième du Prix de Cornulier).

Des gènes montés de plus en plus manifestes, au fil des générations

Après quoi, si l’on remonte le pedigree maternel d’Esperanza Idole, les gènes montés se font de plus en plus manifestes, avec la présence du crack Fandango 1’20’’, auteur de Vasco 1’21’’, le père de mère de Fan Idole, ou bien du père de mère précédent, Quito 1’19’’, un fils de Carioca II 1’26’’ (Prix de Vincennes) ayant remporté le Prix d’Essai (Groupe 1) et ayant produit Franc Quito 1’20’’ (Prix de Vincennes). La séquence de pères de mères se poursuit avec Tamerlan 1’26’’, autre gagnant du Prix d’Essai (Groupe 1), et avec Enfant de Troupe 1’28’’, qui, s’il s’adjugea le Critérium des 4 Ans (Groupe 1), se classa également deuxième des Prix d’Essai (Groupe 1), du Président de la République (Groupe 1) et de Normandie (Groupe 1).

Une famille maternelle en or

La famille maternelle d’Esperanza Idole est l’une des plus grandes du stud-book trotteur français, celle de Bursardine 1’32’’ (1901-James Watt). Elle recèle maints trotteurs montés de premier plan, y compris dans la branche qui nous intéresse, celle des "Pettevinière", où l’on trouve aussi l’exceptionnelle Une de Mai 1’13’’, plus connue pour ses exploits attelés, mais qui, en parallèle, remporta le Prix de Vincennes (Groupe 1) et se classa troisième du Prix du Président de la République (Groupe 1). Une de Mai est, on le sait, une fille de Kerjacques 1’19’’, ce qui la rapproche de Fan Idole, en ce que celle-ci descend du même Kerjacques en lignée mâle, via son père, Le Ham, et l’auteur de celui-ci, Beauséjour II 1’18’’. Fan Idole et Une de Mai ont pour ancêtre commune Nuit de Mai 1’35’’ (Enfant de Troupe), quatrième mère de l’une et troisième mère de l’autre.




Quido du Goutier : encore et toujours le gène monté

On ne peut pas terminer sans évoquer Quido du Goutier 1’12’’, le père d’Esperanza Idole, classique à l’attelage, où il fut deuxième du Critérium des Jeunes (Groupe 1) et du Prix de l’Etoile (Groupe 1) ou bien troisième du Prix Albert Viel (Groupe 1), et semi-classique sous la selle, spécialité dans laquelle il présente la particularité d’être invaincu en trois sorties, dans les Prix Edmond Henry (Groupe 2), Philippe du Rozier (Groupe 2) et Léon Tacquet (Groupe 2). Ce furent là les dernières apparitions de compétiteur de ce fils d’Extreme Dream 1’14’’ et de la millionnaire en francs Idole de Tugeras 1’13’’ (Coktail Jet), dont l’autre principale contribution, à la reproduction, est la semi-classique Utopie du Goutier 1’13’’ (Kaisy Dream), mère d’une certaine Flamme du Goutier 1’09’’. Encore et toujours le gène monté !


"De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace." Dimanche à Vincennes, Noël Langlois (53 ans) aurait très bien reprendre à son compte cette expression que l'on doit à Danton. Il a en effet été récompensé de son audace, au-delà même de ce qu’il espérait, lui qui disait, avant la course, qu’une place serait une victoire. Jamais encore, le professionnel installé dans le Sud-Ouest depuis plus de dix ans, après avoir été entraîneur particulier de l’Écurie Patrick Aubin dans la région de Saumur, n’avait eu de partant dans le Prix de Cornulier (Groupe 1). Le coup d’essai s’est transformé en coup de maître avec Esperanza Idole (Quido du Goutier), à laquelle il devait déjà sa première victoire au niveau Groupe, obtenue dans le Prix Yvonnick Bodin (Gr.3) trois semaines plus tôt. Un succès qui avait confirmé dans l’esprit de l’entraîneur charentais la participation de sa jument au "Cornulier", quitte à passer directement d’un Groupe 3 à un Groupe 1. Que cette conquête du Graal se fasse dans la spécialité de l’Étrier n’est pas très étonnant pour celui qui confiait en amont de ce Prix de Cornulier dans les colonnes de Province Courses l’Hebdo : "Quand on commence ce métier, on a tous le rêve de courir un jour le Prix d’Amérique ou le Prix de Cornulier. Personnellement, j’aime bien les chevaux montés. On a de la réussite avec eux. Ils ont contribué et contribuent à faire bouillir la marmite pour une écurie comme la mienne". Encore faut-il dans le cas présent d'un "Cornulier" ne pas brider soi-même ses ambitions et se donner la chance de pouvoir le gagner en le courant quand l'occasion se présente... Et cela même quand les éléments se mettent en travers de la route, au sens propre comme au figuré.
De l'audace, il en faut aussi pour ne pas hésiter à prendre le meilleur à mille mètres de l'arrivée d'un Prix de Cornulier et assurer le tempo juste quand on est le plus jeune des 18 jockeys du peloton et l'un des deux seuls à vivre sa première expérience dans cette épreuve. C'est ce qu'a vécu dimanche Noé Perron en selle sur Hirondelle du Rib (Rolling d'Héripré). À 22 ans, l'apprenti aux 35 victoires a remarquablement justifié la confiance placée en lui par Joël Hallais, à tel point même qu'il s'est vu gagner jusqu'aux abords du poteau et l'apparition de la fusée Esperanza Idole. Malgré la victoire concédée d'aussi peu, l'expérience est nécessairement positive pour le jeune homme qui n'avait pas tremblé non plus au moment départ - instant pourtant souvent délicat pour sa partenaire qu'il avait découverte en compétition dans le Prix Jules Lemonnier (Groupe 2) un mois plus tôt - pour respecter les consignes données de s'élancer en dehors. Noé Perron s'est sûrement forgé là en quelque 3 minutes et 15 secondes une très précieuse expérience qui lui sera bénéfique dans une carrière qui ne fait que commencer.

L’émotion de la victoire d’Esperanza Idole (Quido du Goutier) dans le Prix de Cornulier (Groupe 1) a plus particulièrement été vive dans le Sud-Ouest où sont installés son entraîneur Noël Langlois et son éleveur Serge Laroche. Elle a été ressentie dans toutes les régions et en particulier en Normandie. Ce n’est pas Céline Gualde qui nous contredira. L’animatrice de l’Écurie Cap Orne à Sainte-Gauburge (Orne) a ainsi publié sur ses réseaux sociaux un témoignage émouvant. C’est en effet chez elle que celle qui allait devenir la future gagnante du Prix de Cornulier a vu le jour, le dernier produit de sa championne de mère Fan Idole (Le Ham). "Je suis contente pour l’entourage d’Esperanza Idole et particulièrement fière pour la mémoire de Fan Idole, sa mère, qui, personnellement, m’a le plus marquée, à la fois par ses performances sportives et par sa personnalité incroyable. Elle a en effet été à la maison où elle a donné naissance à trois produits dont Esperanza Idole, son dernier, nous a confié Céline Gualde. À mes yeux, la victoire de dimanche est une très belle réponse de Fan Idole qui a été très critiquée comme poulinière. Et puis, j’ai vraiment eu l’impression dimanche en voyant la fin de course d’Esperanza Idole de revoir Fan Idole ! Il y a une espèce de répétition de l’histoire." Les souvenirs de Fan Idole sont encore très vivants chez Céline Gualde : "Elle avait une énergie et une personnalité incroyables. Elle était très autoritaire dans son comportement. On comprenait pourquoi c’était une championne. Les jours suivant chaque poulinage, elle était très dangereuse et nous avions un système pour pouvoir l’approcher. C’était une grande dame". Après la naissance d’Esperanza Idole, Céline Gualde avait conseillé à Serge Laroche, son éleveur, de ne plus faire saillir Fan Idole, alors âgée de 21 ans, pour la préserver car elle avait du mal à garder de l’état et de la prendre chez lui à la retraite. Ce qu’il a fait.







Mieux vaut être une jument, et plutôt expérimentée, pour avoir une chance d'inscrire son nom au palmarès du Prix de Cornulier. C'est ce que tendent à prouver les statistiques actualisées après la victoire d'Esperanza Idole, 10 ans. En voici une sélection :
■ 4ème victoire consécutive d'une femelle dans le Cornulier avec une moyenne d'âge de 8 ans et 9 mois : Bahia Quesnot (2021), Flamme du Goutier (2022 et 2023), Esperanza Idole (2024) ;
■ Sur les 5 dernières éditions et en prenant les 5 premiers chaque année : 19 femelles vs 6 mâles ;
■ Sur les 10 dernières années, 4 lauréates âgées de 10 ans : Roxane Griff (2015), Scarlet Turgot (2016), Bahia Quesnot (2021) et Esperanza Idole (2024).