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Victoire dans le Prix d'Amérique 1961 avec Masina
En bref - 26.01.2024

De l’ombre à la lumière, quand le rêve devient réalité

Souvenirs de François Brohier,
vainqueur du Prix d'Amérique en 1961 avec Masina


Quand je me remémore le parcours de ma jeunesse, je pense qu’une bonne fée a bien voulu qu’il en soit ainsi.
Pensez ? Pour un gamin qui a traversé la guerre de 1939-45, au milieu d’une famille nombreuse, avec un père qui, la nuit tombée, était réquisitionné par l’ennemi pour garder les voies ferrées, qu’allait-il advenir ?
Ce fut d’abord quelques années chez les Oratoriens, à l’institut encore marqué par les éclats d’obus (Saint-Lô se relevait de ses ruines) et où, le matin, dans un dortoir aussi froid que lugubre, il fallait d’abord briser la glace pour une banale toilette : on était déjà heureux d’avoir passé la nuit sans s’être fait pincé pour quelques activités nocturnes interdites.
Par la suite, retour à la maison ou plutôt à la ferme. Même si ce n’est pas n’importe quelle ferme puisqu’elle n’était autre que l’ancien haras du Comte Foi, le haras de Barbeville. Désormais, plus trace de pur-sang, si ce n’est les nombreuses unités de boxes décimées sur toute la commune.

C’est une nouvelle époque qui s’ouvre. À présent, les bovins côtoient ici les chevaux de travail au milieu des herbages, des étables, des foins, des pommes, etc… Ma principale distraction ? Mon petit âne avec lequel j’aimais participer aux kermesses de villages.
Ainsi jusqu’au jour où Monsieur Levesque, mon oncle, "Monsieur Henry" comme on allait le surnommer, alors amateur, émet le désir d’entraîner ses propres chevaux. Il fait appel à moi pour le seconder. C’est alors un tout autre décor, comme restreint : quatre poulains à débourrer et une honorable jument, Dora, qui allait m’offrir ma première victoire à Bordeaux. M. Levesque fit ensuite revenir de chez un autre entraîneur une petite jument, Diane de Fontenay, alias "La Pomponne" comme l’appelait son garçon. C’est alors déjà merveilleux à mes yeux : on gagne ensemble plusieurs courses à travers la Normandie et le Grand Ouest avant de monter à la Capitale.
Un peu de repos et le Prix du Président de la République est déjà là : ce fut une formalité avant le Prix des Élites à l’été avant de se lancer vers un nouvel hiver. Le Prix de Croix, bien que devant rendre 50 mètres, est un tremplin pour un premier Prix de Cornulier. À l’horizon se dessine alors l’Amérique.
Premières apparitions dans le "temple du trot" : quatre courses, quatre victoires, avec pour clore la série, le semi-classique Prix Jacques Olry. Je devance le futur vainqueur du Prix du Président de Cornulier Dollar V monté par Michel Gougeon. C’est comme un rêve et je rêve. Je me rappelle alors d’un ami qui m’avait dit : "Il ne faut surtout pas s’en priver, ça ne coûte pas cher…"
Puis vient Fugia, 2ème des Prix du Président de la République et de Normandie, devancée uniquement par… Fandango et Michel, les intouchables !

Icare IV, après avoir gagné le Prix Lavater, allait m’offrir mon premier "Président", première distinction classique. Puis un second, avec le numéro 23 (autres temps) et à la cote de 80/1 avec La Champagne au nom prédestiné et ouvreuse de la voie à ma crack, Masina.
Tardive, Masina ne débute qu’en décembre de ses 3 ans. Durant les deux mois d’hiver, elle remporte six victoires, concluant son meeting en beauté en remportant le Prix Ephrem Houel. L’histoire est lancée.

Jamais rapide au départ en montant, on comble progressivement son retard avant de mettre le turbo à l’intersection des pistes. Mais Tornese s’est échappé comme un vainqueur. Les tifosi italiens "dansent déjà sur les tables" dixit Mme Levesque quand Masina vient le foudroyer aux abords du poteau. Devant le pavillon, en reprenant ma jument, c’est d’abord une confusion véritable, sorte de mélange de brouhaha de cris et de d’applaudissements suivis des journalistes avant un grand drapeau bleu-blanc-rouge qui vint draper Masina. Sublimité. Ça vous transporte et vous déchire à la fois. La foule, les embrassades… Je n’ai jamais eu tant d’amis que ce jour-là. J’ai du mal à réaliser, jusqu’aux félicitations du Président René Ballière.
Puis c’est l’heure des festivités, le soir venu. Avec M. Levesque, Monsieur Champagne, c’est la fête, Place de Clichy à Paris, au Roi des Coquillages. On mange, on boit, un peu, beaucoup, on chante "Valentine", jusqu’au moment où je me retrouve convié à une table au fond de la salle.

C’est M. Marcel Boussac, alors Président de la société des courses au galop et un des plus grands propriétaires de l’époque, qui me dit : "J’y étais et vous avez gagné à la Johnson (son célèbre jockey australien de l’époque)". Ces quelques mots me touchèrent et je me rappelle être tout confus.

La soirée est plus qu’avancée, il faut rentrer à Joinville-le-Pont en compagnie de mon cousin Jean. Stupéfaction à la gare Saint-Lazare : un grand bandeau lumineux défile en continu éclairant la nuit noire parisienne. On peut y lire : "Masina a gagné le Prix d’Amérique – Masina a gagné le Prix d’Amérique". Extasié, je m’attarde devant plusieurs minutes.
C’est écrit ici en plein Paris, j’ai bien gagné le Prix d’Amérique, c’est un rêve mais c’est aussi une réalité. Et je me remis alors à repenser au gamin que j’étais, monté sur mon âne qui m’en faisait voir de toutes les couleurs, mais pas forcément du bleu-blanc-rouge.

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