L'affiche de la décennie en promesse

À 65 jours de son édition 2024, l’Elitloppet a d’ores et déjà tout des grandes affiches, de celles qui font la légende du sport. Au trot, on a eu Ourasi face à Mack Lobell lors du "March of Dimes", le "Match du Siècle" en version française, le 17 novembre 1988, sur le mile du Garden State Park à Philadelphie (États-Unis), qui fut finalement gagné par… Sugarcane Hanover. L’affiche qui se dessine à Solvalla le 26 mai a tout à son tour pour devenir légendaire. À gauche, le français âgé de 6 ans Idao de Tillard, 40 courses, 30 victoires, 7 Groupes 1. À droite, le suédois lui aussi âgé de 6 ans Francesco Zet, 23 courses, 21 victoires, 8 Groupes 1.

Deux annonces à quinze jours d’intervalle ont suffi à mettre la planète trot en effervescence. Les deux premiers invités à l’Elitloppet, Idao de Tillard (Sévérino) et Francesco Zet (Father Patrick), composent à eux seuls une feuille de match dont rêve tout organisateur d’évènement et tout passionné de sport hippique. Une véritable performance, surtout aussi tôt dans la saison, réussie par Anders Malmrot, le directeur sportif de l'hippodrome suédois. On n’a aucun mal à imaginer la ferveur qui va s’emparer des tribunes de Solvalla. L’échéance peut paraître encore loin mais déjà un bon bout de chemin a été parcouru au cours des dernières semaines. C’est d’abord une porte qui s’est entrouverte dès le dernier dimanche de janvier.
On est alors quelques heures seulement après le triomphe d’Idao de Tillard dans le Prix d’Amérique Legend Race (Gr.1). En conférence de presse, Thierry Duvaldestin est interrogé sur le programme à venir de son champion et sur une possible expérience à l’étranger, sous-entendu l’Elitloppet, même si le nom de la plus grande course scandinave ne sera pas prononcé ce soir-là. Alors que le meeting d’hiver du fils de Sévérino (Gobernador) n’est pas encore terminé et que figurent encore à son programme le Prix de France Speed Race (Gr.1) et le Prix de Sélection (Gr.1) qu’il remportera tout autant, l’entraîneur répond non pas par un "oui" franc mais ne dit pas "non", bien au contraire même avec les réserves du Normand qu’il est. "Il a 6 ans, ce n’est pas impossible, lâche-t-il aussitôt. Il est très calme. Il avait un défaut, c’était de mal tourner à gauche. C’est beaucoup mieux maintenant. On est capable d’aller faire un tour à l’étranger… peut-être."

Ce "peut-être" est devenu un "oui" quand Thierry Duvaldestin a répondu durant la seconde quinzaine de février à l’invitation d’Anders Malmrot. Tant et si bien que le samedi 24 février - soit 92 jours avant l’évènement - les réseaux sociaux de Solvalla annoncent le nom du premier invité de l’Elitloppet 2024 : Idao de Tillard. "J’ai toujours pensé qu’Idao de Tillard s’adapterait bien en Suède, réagit l’entraîneur qui dira même qu’il avait un temps songé à la Suède au cours de son année de 4 ans avant de se concentrer sur son programme à domicile. Il a tout pour réussir à Solvalla car il est rapide derrière la voiture et a beaucoup de vitesse. Mais il est aussi calme, cool, très gentil et ne s’énerve jamais." Sous-entendu, il est capable d’enchaîner la batterie et la finale. Idao de Tillard suivrait alors les traces de la légende Coktail Jet (Quouky Williams). Depuis que celui-ci a remporté en 1996 le Prix d’Amérique et l’Elitloppet à l’issue d’une ligne droite que l'on ne se lasse pas de voir et revoir, aucun autre trotteur tricolore n’a réussi ce doublé la même année. Et un seul champion étranger l'a réalisé. Et quel champion : Varenne (Waikiki Beach) en 2001 !


Toute l’Europe du trot et même au-delà a déjà en tête le dernier dimanche de mai. "C’est fantastique d’accueillir le lauréat du Prix d’Amérique Legend Race, commente alors Anders Malmrot. Il a une force et aussi une vitesse hors du commun et voir Idao de Tillard à Solvalla sera quelque chose de très spécial." Tellement spécial que deux jours après cette annonce l’ensemble de l’offre de restauration sur l’hippodrome était réservé en l’espace d’une minute ! "Je n’ai jamais vu cela, s’enthousiasme l’organisateur suédois rencontré lors du Grand Critérium de Vitesse de la Côte d’Azur à Cagnes-sur-Mer. Pour moi, cet engouement incroyable est lié à la présence annoncée du champion français."


Dans un monde idéal - c’est notre côté cocardier -, cette affiche aurait pu avoir pour cadre le parcours classique de la grande piste de Vincennes, le dernier dimanche de janvier. C’était en tout cas les plans initiaux de Daniel Redén. Vainqueur de 21 de ses 23 courses, de 8 Groupes 1 et titulaire d’un chrono de 1’09’’4 sur le mile de Halmstad, Francesco Zet (6 ans) devait en effet faire partie du contingent de l’entraîneur suédois cet hiver à Grosbois avec, à la clé, une participation au Prix d’Amérique Legend Race. Mais, début décembre, Daniel Redén annonçait devoir revoir ses plans avec son champion, absent depuis le mois d’août précédent. "Nous avons effectué plusieurs essais à la volte à l'entraînement et cela s'est vraiment mal passé, "Francesco" se montrant agressif avec les autres, voulant mordre, confiait-il dans ses colonnes. Il n'est dès lors pas question de projeter une participation au Prix d'Amérique dans ces conditions. Il reste en Suède et va faire la monte."


Ne comptez pas pour autant sur Daniel Redén pour renoncer, encore moins définitivement. Ce n’est vraiment pas dans sa nature. Peut-être plus encore dans le cas présent. On s’explique. D’abord, il a été comme tous les observateurs à travers la planète trot impressionné par les prestations d’Idao de Tillard tout au long de l’hiver. Comment direz-vous pourrait-il en être autrement ? Dès lors, le sportif et le compétiteur qu’il est ne pouvait laisser passer la possibilité qui s’offrait : défier la nouvelle star du trot avec son meilleur cheval. Et qui plus est à Solvalla, c’est-à-dire à domicile, où Idao de Tillard sera dans la peau du "découvreur". Quitte à revoir le programme qu’il avait en tête comme il l’a confié après que Francesco Zet a officiellement reçu le deuxième carton d’invitation. "J'avais prévu de courir le Åby World Grand Prix (N.D.L.R. : le 10 août avec une allocation boostée cette année à 914.000 €) et non l'Elitloppet. Mais quand Idao de Tillard, le meilleur cheval de France, a été annoncé au départ à Solvalla, j'ai changé d'avis. Beaucoup de gens disent que c'est le meilleur trotteur du monde et je veux que mon cheval montre ce qu'il vaut face à lui. Cela va être très amusant et nous y allons à fond", a-t-il déclaré à V75 Direkt.
Ce revirement trouve aussi ses racines dans l’esprit de revanche qui anime le professionnel suédois. C’est que son hiver en France ne s'est pas exactement passé comme il l’avait imaginé. Certes, tout a bien commencé avec le succès de Glamorous Rain (Muscle Hill). Mais ce sera le seul de la trentaine de ses partants… Son meilleur résultat dans les Groupes 1 sera une cinquième place, celle de Glamorous Rain (encore elle !) dans le Prix Ténor de Baune-Amérique Races PMU Q4. Alors, à domicile, Daniel Redén entend remettre l’église au cœur du village et raison de plus si pour cela il faut battre le meilleur trotteur à l’heure actuelle.

L'Elitloppet n'est pas un match à deux mais une course où ils sont seize à prétendre à la victoire. Un rappel qui peut paraître superflu mais qui souligne que, si Idao de Tillard et Francesco Zet composent à eux deux seulement une affiche rêvée, ne risquent-ils pas de faire "fuir" la concurrence ? Auprès de nos confrères suédois de Travronden, Torbjörn Jansson, l'un des plus grands professionnels suédois lui-même au palmarès de la course, balaye cette hypothèse : "Les gens veulent faire partie de cette course. Personne ne se dit : "J'aimerais bien participer mais pas si tel ou tel cheval y participe". Tout le monde sait que les meilleurs chevaux en forme à ce moment-là seront présents. Que Idao de Tillard et Francesco Zet soient déjà invités ne sera certainement pas un problème". Des propos corroborés par ceux d'Ulf Stenströmer, autre entraîneur questionné par nos confrères suédois : "Tu ne peux pas te plaindre de ça. Ce sont peut-être les deux chevaux les plus intéressants d’Europe et probablement du monde".
Évidemment, on se projette sur la composition du peloton et, côté français, on espère les candidatures pour ne citer que ces deux-là du tenant du titre Hohneck (Royal Dream) et de l'un de ses dauphins Go On Boy (Password), qui ont aussi composé le jumelé gagnant sur la même piste quelques mois plus tard de la Finale de l'UET Elite Circuit. Un sentiment partagé par les professionnels scandinaves auxquels Travronden a posé la question de savoir quel cheval ils espèrent voir au départ de l'Elitloppet 2024. Sur les cinq réponses, le champion de Philippe Allaire figure à trois reprises. "J'espère et je crois que nous verrons Hohneck. Il a montré qu'il apprécie beaucoup Solvalla", a ainsi répondu la Finlandaise Satu Liitiäinen que l'on a vue en France voilà quelques années.