Kahia de la Croix, une histoire de rencontres

Trois victoires à la suite, dont un enchaînement Enghien-Vincennes en l’espace d’une vingtaine de jours dans des courses D avec son entraîneur Laurent Abrivard, pour elle qui n’avait gagné qu’une fois auparavant, ne font pas de KAHIA DE LA CROIX la révélation du printemps. Mais elle est un exemple de cette passion qui anime des milliers de petits éleveurs qui contribuent à l’ancrage territorial de l’élevage. Installé dans la Manche, Dominique Charrière, l’éleveur de cette fille d’URIEL SPEED, est l’un de ceux-là.

Au cours de sa vie professionnelle d’assureur sur Sainte-Mère-Église, Dominique CHARRIERE avait un certain nombre de clients parmi les grands éleveurs de trotteurs de la région. Les élevages Levesque, de Folleville, Lécuyer, etc., faisaient ainsi partie de sa clientèle. "J’ai donc un peu baigné dans ce milieu", note celui qui, à 73 ans, coule une retraite active à Saint-Martin-de-Varreville. Une retraite où les trotteurs occupent une partie de son temps. Car l’ancien assureur est devenu à son tour éleveur. "Un tout petit élevage", précise-t-il aussitôt. Lui épris de nature s’est retrouvé avec huit hectares hérités de ses beaux-parents dans le bocage normand. "C’est comme cela que j’ai commencé à élever, raconte Dominique Charrière. Ma première poulinière était une fille de JIOSCO qui n’avait pas fait carrière et qui m’a fait un poulain par BASSANO qui ne s’est pas qualifié. Ça commençait très timidement. Mais ce n’était pas bien grave. Je cherchais seulement à me faire plaisir."
Son voisin, Michel Ruel, décédé depuis, est l’un des éleveurs français les plus performants de chevaux de selle avec son Haras de Blondel. Il s’intéresse aussi aux trotteurs et c’est ainsi que Dominique Charrière s’associe avec lui sur une poulinière. "Nous avons eu ensemble KLADYS D'AILLAS, une fille de DREAM WITH ME. Elle nous a fait un bon premier produit, TADYS DE BLONDEL par ECHO, qui a fait carrière chez Sébastien Ernault sous les couleurs de Guy Grugeaux." Une carrière qui va permettre au duo d'éleveurs manchois d'avoir un partant dans un Groupe 1 puisque Tadys de Blondel est l'un des principaux favoris de l'édition 2011 du Prix du Président de la République, remportée par TANGO QUICK. "Il avait gagné plusieurs fois avant à Vincennes en faisant des numéros, se souvient bien son co-éleveur. Ce jour-là, il s'est blessé. C’est malheureux car il était vraiment bon. C’était un très grand cheval qui était fragile." Bien qu'ils aient reproduit le même croisement, ils ne connaîtront pas de réussite avec les produits suivants de Kladys d'Aillas qui, à 26 ans, coule des jours tranquilles dans les prés de Dominique Charrière. "Cela fait partie des aléas de l’élevage. Il y a beaucoup de déceptions. C’est pour cela que lorsqu’il y a des satisfactions, il faut en profiter", assure-t-il.

Les années suivantes, Dominique Charrière, dont le nom du label de son élevage vient du lieu où il est installé, à savoir La Croix aux Bertots, continue à avoir une ou deux poulinières, toujours en association. Avec Marcel Foucher, il est ainsi l'éleveur de DOLMEN DE LA CROIX, un fils de JET FORTUNA qui va prendre un peu plus de 80.000 € sur les pistes. Mais le temps passant et l'absence de résultats réellement probants ne sont pas loin de le décourager. "La situation des petits éleveurs comme moi est de plus en plus dure. À mes yeux, le principal problème est la commercialisation des produits si vous n'allez pas à des saillies chères. Les coûts ont explosé. On voit bien dans la région que beaucoup de petits éleveurs cessent leur activité. On n’élève pas des chevaux pour les envoyer à l’abattoir", expose-t-il.

Mais alors qu'il pense arrêter à son tour, une opportunité se présente à Dominique Charrière. Là aussi, ce sont les rencontres, les connaissances, qui vont participer à rallumer la flamme de l'éleveur. "Je suis ami avec Marc SCHWEISGUTH qui a élevé entre autres BOIS DU BOSNET et BEL AIR, revient-il. Ceux-ci étaient entraînés par Franck Boismartel. Ce dernier et ses associés cherchaient à placer UTOPIE IMPERIALE qui a été une très bonne jument de courses et avait terminé sa carrière."
Les copropriétaires et l'éleveur trouvent un accord. "Je suis naisseur des produits que j’élève et copropriétaire de chacun à hauteur de 20 %", explique ce dernier. IWEN DE LA CROIX (Real de Lou) est le premier de cette association à voir le jour et le premier à gagner pour l'entraînement de Franck BOISMARTEL et les couleurs d'Olivier LEROY, l'un des associés avec Alain TENDIL, Patrice Guérin et Anne-Cécile Métayer. Le deuxième produit est Kahia de la Croix (Uriel Speed) qui a aussi débuté sa carrière chez Franck Boismartel avant que celui-ci ne cesse son activité. "Elle a tout de suite montré qu'elle avait un "moteur", décrit ce dernier. Mais il fallait plus passer son temps à la calmer qu'autre chose. Depuis que Laurent Abrivard la déferre, elle s'accroche moins et trouve mieux son passage."
Pieds nus, Kahia de la Croix compte en effet trois victoires de rang en quatre tentatives, sous les couleurs cette fois d'Alain Tendil. "Elle m'a surtout étonné mardi par son comportement et sa maniabilité, poursuit-il. Elle a eu un vrai comportement de jument de course. Avant, c'était elle qui décidait. Là, Laurent a choisi le parcours qu'il voulait lui donner." Avec les quelque 43.000 € gagnés en l'espace d'un mois et demi, Kahia de la Croix a comblé une partie de son retard de gains et a apporté de vives satisfactions à son entourage. "On n’est pas partis loin mais ça fait déjà plaisir à tout le monde, commente Dominique Charrière qui, dans sa manière d'élever, dit favoriser le maximum possible l’herbage, avec des apports de granulés et de compléments minéraux. Je suis content pour les associés. Pour moi, ces victoires sont la satisfaction du travail qui est fait au quotidien."
Ce travail se poursuit avec le produit de l'année d'Utopie Impériale. Celle-ci a en effet donné naissance à un mâle de Boccador de Simm voilà moins de dix jours. "C'est un beau poulain", se réjouit l'éleveur. Alors que la "L" d'Utopie Impériale, nommée LEXA DE LA CROIX (Niky) et qualifiée l'automne dernier au Mans en 1'19''6, est repartie au pré-entraînement après avoir été soignée dans la Manche de la maladie de Lyme, son petit frère MILOW DE LA CROIX, un fils d'Uniclove, vient d’être castré. Leur mère sera saillie cette année par Hohneck. "C'est une jument qui avait beaucoup de fond. Le choix de Hohneck devrait permettre d'apporter de la vitesse", avance Franck Boismartel.


La mère Utopie Impériale : un achat inspiré
C’est à la vente de printemps 2011, en avril, que Jean-Claude Lavail achète UTOPIE IMPERIALE (Kepler). La pouliche alors âgée de 3 ans vient de se qualifier quelques jours plus tôt, dans la réduction kilométrique d’1’17’’8 à Caen. Elle est présentée inédite et l’acheteur monte jusqu’à 29.000 € pour l’obtenir. Il intervient pour une association réunissant aussi Alain Tendil, sous les couleurs duquel elle courra, Yves Prost, Olivier Leroy et l’Ecurie Franck Boismartel. C’est d’ailleurs sous l’entraînement de Franck Boismartel qu’elle effectuera sa carrière. Lauréate sous la selle en fin d’année de 3 ans à Vincennes, elle ne fera que progresser jusqu’à 5 ans. Elle signe durant l’été ses deux performances phares et classiques comme deuxième du Prix de Normandie (Gr.1) et troisième du Prix des Elites (Gr.1). Nathalie Henry aura été la partenaire de ses meilleures performances. Elle se retire de la compétition à l’âge de 8 ans avec un bilan de 5 victoires en 78 sorties pour 356.270 € de gains.

Le pedigree d’Utopie Impériale au crible
UTOPIE IMPERIALE appartient à la quatrième production de KEPLER 1’14am (Capriccio). Ce dernier est bien né comme fils de CAPRICCIO 1’12 (Sharif di Iesolo) et de BRIGNOLES 1’15 (Jet du Vivier), une multiple gagnante à Vincennes dans les années 1990 pour la famille Levesque. Il compte deux victoires semi-classiques au monté à l’âge de 5 ans. Au même âge, il décrochera aussi la deuxième place du Prix des Elites (Gr.1), battu par la 3 ans MARA BOURBON (And Arifant), obtenant là ses galons classiques. Parmi ses premières productions, RAFALE DES LUCAS 1’12 (233.250 € de gains), SAPHIR DU CEBE 1’12m (384.500 €), le semi-classique SIRE HAIE NEUVE 1’14am (225.160 €) et SICOUSSA DE BARB 1’12 (238.210 €) lanceront sa réussite d’étalon. Ses chefs d’œuvre classiques ont pour noms VALKO JENILAT 1’10 (1.303.915 €) et DIEGO DU GUELIER 1’12 (265.500 €) qui sont eux-mêmes étalons.
Fille de JOIE IMPERIALE 1’17 (Vivaldi de Chenu), une double lauréate sous la selle à Vincennes, UTOPIE IMPERIALE appartient à une famille dont la jument souche est RIPOSTE 1’29 (Hernani III - 1939) dont la descendance comprend GARDON 1’20m (Tigellin), IANTHIN 1’13 (Vésuve T) et OMNIFER 1’13 (Vésuve T). GARDON compte trois titres dans le Prix de Cornulier (1955, 1956 et 1958) au sein d’un palmarès riche de 31 victoires. IANTHIN a été l’un des rivaux d’IDEAL DU GAZEAU et revendique notamment un succès dans l’Elitloppet et dans le Prix René Ballière en 1983. Enfin, OMNIFER est un vainqueur semi classique dans les années 1980. JOIE IMPERIALE a relancé la vitalité de sa branche, non seulement grâce à UTOPIE IMPERIALE, mais aussi avec DUCSON IMPERIAL 1’14 (Tucson), un produit précoce capable de prendre la 2ème place du Prix Ourasi (Gr.3) et la 3ème du Prix Emmanuel Margouty (Gr.2) à 2 ans.

		Indy de Vive 1'11''9	Viking's Way 1'15''6
	Uriel Speed 1'13''3		Tekiflore 1'19''8
		Nadia Speed 1'18''6	Tenor de Baune 1'14''3
KAHIA DE LA CROIX			Tania Speed 1'17''7
		Kepler 1'14''1	Capriccio 1'12''3
	Utopie Imperiale 1'11''7		Brignoles 1'15''5
		Joie Imperiale 1'17''3	Vivaldi de Chenu 1'14''2
			Sophie du Favril