Louis Baudron, questions de vision
Président d’Auctav, dont la vente de yearlings, programmée ce jeudi, au Haras de Bois-Roussel, dans l’Orne, inaugure la séquence 2024 en la matière, Louis Baudron a de multiples casquettes, de celle d’éleveur à celle de driver –il fut aussi jockey et monta même au galop, à l’image de son oncle, Jean-Philippe Dubois–, en passant par celles de propriétaire et d’entraîneur. Ses deux grands-pères se nomment Roger Baudron et Jean-Pierre Dubois. Autant dire qu’il était né pour trotter ou pour galoper, car, dans la famille, on est pluridisciplinaire. Son regard sur notre sport en est d’autant plus intéressant. A la faveur des ventes de yearlings qui s’annoncent, en particulier celle dont il est l’instigateur, 24H Au Trot est allé à sa rencontre, en exclusivité.
24H Au Trot – Une petite rétrospective, pour commencer : l’aventure Auctav, pourquoi, comment ?
Louis Baudron – J’ai toujours fait du commerce. Cela me semble aller dans la logique des choses. En tant qu’éleveurs et entraîneurs, nous fabriquons et, si nous fabriquons, c’est pour vendre. Celui qui fabrique et qui ne vend pas devient un collectionneur. Or, nous ne sommes pas des collectionneurs.
L'idée de la création d'Auctav a germé ainsi. Au lieu de négocier des chevaux à l’amiable un peu tout le temps, un peu toute l’année, je me suis dit qu’il serait opportun de le faire autrement, globalement, dans le cadre d’un marché ouvert au public, à date fixe, ou quasiment, et dans un lieu donné. Cela a été, d’abord, la vente dite du Haras des Rouges-Terres, puis cette vente de yearlings trotteurs, qui ouvre notre saison en présentiel cette semaine. Ce fut d’abord chez nous, aux Rouges-Terres, puis l’opportunité de Bois-Roussel s’est présentée. En termes logistiques et organisationnels, le site constitue un plus indéniable.
La particularité des ventes Auctav est de générer des associations, des partenariats, autour des chevaux présentés en vente, souvent entre les vendeurs et leurs clients potentiels…
Absolument. Au reste, c’est un phénomène général. Hier, vous aviez un propriétaire qui avait dix chevaux ; aujourd’hui, vous avez dix propriétaires sur un seul cheval, une formule qui peut se décliner à l’envi, bien sûr. Cela répartit, à la fois, les risques et les chances. A titre personnel, j’aime bien rester intéressé dans les chevaux que je passe sur le ring et, en amont de la vente, je réfléchis au fait de savoir si tel ou tel cheval peut être susceptible de convenir à tel ou tel client. Ce faisant, le but est de travailler dans la durée –pas de « one shot », cela ne sert à rien–, pour faire en sorte –autant qu’il est possible, car, avec les chevaux, on sait bien que rien n’est jamais acquis d’avance– que les clients reviennent, parce qu’ils ont été satisfaits et, par voie de conséquence, qu’ils vous font confiance. Dans cet esprit, la caractéristique des ventes Auctav est qu’un cheval peut ne pas être vendu sur le moment, tout en étant l’objet, en prolongement, d’une association entre les protagonistes. Il y a, si je puis dire, le business de la vente proprement dite et celui qui en découle.
Les éternels et la relève
Le début de la vente de yearlings d’Auctav est fixé à 17h30, jeudi prochain, en présentiel et en ligne. Le catalogue est riche de produits des grands disparus ou retirés de ces dernières années, à savoir Ready Cash (x3), Love You (x3), Goetmals Wood (x2) ou encore Galius (x2). En regard, la relève est là, avec les Fabulous Wood (x5), Carat Williams (x4), Charly du Noyer (x4), Bird Parker (x3), Boccador de Simm (x3), Booster Winner (x3), Eridan (x3), Saxo de Vandel (x3), Etonnant (x2), Face Time Bourbon (x2), Feliciano (x2), Gotland (x2), Helgafell (x2), Hohneck (x2) et Italiano Vero (x2). L’étalon le plus représenté est cependant Impressionist, avec ses premiers yearlings en lice, au nombre de 8. Du côté des mères, on pointe des reproductrices chevronnées, mères de Goforme de Houelle (lot 9), Texas Style et Combattante (lot 11), Idylle Speed et Forever Speed (lot 14), Ecu Pierji (lot 19), Good Boy Ligneries (lot 30), etc. La vente est organisée en partenariat avec Yearly, spécialiste de l’alimentation équine, qui primera, à l’issue d’un concours de modèle, les yearlings jugés les plus beaux de la vente.
Arnaud Angéliaume : "Nous avons une belle variété et une vraie densité, en termes d’offre."
Bras droit de Louis Baudron au sein d’Auctav, dont il est le Directeur Général, Arnaud Angéliaume revient sur ces derniers mois et sur la constitution du catalogue de la vente de yearlings (N.D.L.R. : 101 inscrits + 9 sujets issus de l’élevage de Roger Baudron, à retrouver sur auctav.com) : "
Nous avons travaillé dans la continuité de l’an dernier, mais la sélection a été plus compliquée, ce printemps, du fait des conditions météorologiques. Les éleveurs ont souffert, la croissance de leurs chevaux ayant été retardée. De ce fait, nous avons dû patienter et œuvrer sur une période plus courte pour les inspections. Au bout du compte, je crois que nous avons un catalogue solide, tant sur le plan du pedigree que du physique. Nous n’avons pas, cette année, un Machiavel Bourbon, c’est-à-dire un yearling record d’Europe, à 580.000 euros –qui vient, du reste, de fort bien se qualifier, le mois dernier, et qui promet–, mais nous avons une belle densité et une vraie variété en termes d’offre, susceptibles de satisfaire les différentes catégories d’investisseurs, je veux dire par là, d’une part, ceux qui achètent le « papier » et, d’autre part, ceux qui jouent davantage la carte de la préparation, du façonnement, celle des yearlings dits d’entraîneurs. C’est important, pour nous, de nous positionner dans ce double créneau et de proposer des chevaux pour tous les budgets. Quant au marché en tant que tel, il est difficile de se prononcer avant l’heure, car une année ne fait pas l’autre. L’an dernier, celui des yearlings était assez fort, partout en France. Il reste à espérer que ce soit la même chose cette année."
©EliseFossardArnaud Angéliaume En prolongement de la vente de yearlings trotteurs du 22 août et de celle des Rouges-Terres, aux racines familiales, le 4 septembre, vous proposez, comme ces deux dernières années, une vacation « obstacle », le 20 septembre, soit une pluridisciplinarité qui semble faire écho à celle qui est la vôtre, en tant qu’éleveur et entraîneur…
Oui. J’aime toutes les spécialités. Ce qui compte par-dessus tout, c’est le plaisir d’avoir un bon cheval. Peu importe s’il trotte, galope ou saute. Nous avons quarante poulinières trotteuses, mais aussi vingt juments pur-sang. Il y a trois étalons trotteurs, aux Rouges-Terres (N.D.L.R. : Singalo, Village Mystic et Impressionist), mais également un pur-sang (N.D.L.R. : King Edward). A l’entraînement, cinquante trotteurs côtoient une trentaine de chevaux de galop, dont s’occupe, plus particulièrement, mon épouse, Amandine, actuellement, d’ailleurs, à Deauville, avec un piquet de huit pensionnaires. Je ne pense pas qu’il y ait de véritables frontières entre les spécialités, spécialement entre le trot et l’obstacle, où les investisseurs sont parfois les mêmes. Cette vente « obstacle » s’inscrit donc dans une logique. Ses deux premières éditions ont, en outre, fort bien fonctionné, ayant révélé de bons sujets, comme
La Pinsonnière et
All In You, pour ne citer que les deux qui me viennent à l’esprit.
Hier, vous aviez un propriétaire qui avait dix chevaux ; aujourd’hui, vous avez dix propriétaires sur un seul cheval
Plus de vente dédiée aux chevaux de plat, en revanche, à la différence de l’année dernière ?
Non. Cette vente arrivait trop tard en saison (N.D.L.R. : mi-octobre) et les résultats n’ont pas été au rendez-vous. Pour revenir au trot, nous réfléchissons à la création d’une vente lors du premier semestre, une période pendant laquelle, hormis en ligne, nous n’avons, pour l’heure, aucun rendez-vous avec les acheteurs. Nous avons en tête une vacation mixte, ouverte à toutes sortes de chevaux, qui pourrait se dérouler au printemps, au mois d’avril par exemple. Les chevaux ayant performé au cours du meeting d’hiver pourraient trouver là l’occasion de bien se négocier.
Nous réfléchissons à la création d’une vente mixte de trotteurs, qui pourrait se positionner au printemps.
Parlez-nous de votre expérience en Australie, il y a quelques années, aux côtés de votre oncle, Jean-Etienne Dubois, et de votre présence actuelle aux Etats-Unis.
En Australie, j’avais des chevaux de galop, que j’entraînais à côté de Sydney, comme Jean-Etienne. J’ai dû y rester environ une année, mais je ne suis pas tombé amoureux du pays, je n’ai pas été « accroché ». Pour autant, j’y ai appris des choses, notamment sur les syndicats de propriétaires, qui sont une institution, là-bas, et que l’on encourage depuis longtemps. L’organisation des courses y est, en outre, remarquable. Les hippodromes sont utilisés au maximum de leurs possibilités, y compris pour d’autres activités. Cela draine beaucoup de public. On devrait s’inspirer, chez nous, de telles pratiques. Notre défaut est d’être quelque peu statique, de ne pas faire des tentatives pour progresser, de peur d’échouer. Mais, si c’est le cas, tant pis, on rebrousse chemin et on tente autre chose. Ce n’est pas grave. La fortune sourit aux audacieux.
Quant aux Etats-Unis, j’y ai une antenne, dirigée par Nicolas Roussel. Il y a huit chevaux là-bas, que j’ai en partenariat, entre autres avec des membres de la famille. Avec le courtier Florent Fonteyne, nous avons investi dans des yearlings, aux ventes américaines, tels
Matthews, un fils de
Father Patrick, et
Montmartre, une fille de
Walner, qui viennent d’ouvrir leur palmarès, à 2 ans. Je suis allé les driver. C’est ma récréation ! Ce sont des chevaux que nous avons tout de même achetés dans un créneau allant de 50.000 à 100.000 dollars. On a aussi envoyé outre-Atlantique des juments françaises trop jeunes pour être inséminées en France, eu égard à la réglementation en vigueur. Parmi elles,
House Music, une fille de
Ready Cash et
Pirogue Jénilou qui avait été accidentée et que l’on a fait saillir, à 3 ans, par
Trixton. Cela a donné
House of Love, qui nous a fait plaisir, dès l’âge de 2 ans, en s’illustrant dans les convoitées Kentucky Proud Series, allant jusqu’à s’imposer dans la finale, au Red Mile.
En guise de conclusion, quel serait le mot de la fin ?
Il sera pour dire qu’en France, on ne devrait pas avoir peur d’oser. On peut regarder nos rivaux européens, voire américains, dans les yeux. On est en droit de penser que nous avons actuellement les deux meilleurs trotteurs d’Europe et même du monde, à savoir
Horsy Dream (Scipion du Goutier) et
Idao de Tillard (Severino), sans parler de
Jushua Tree (Bold Eagle), capables de se distinguer ferrés, qui plus est, ce qui, à mes yeux, ajoute grandement à leur fiabilité. On peut être fier du travail accompli par nos professionnels, de l’élevage à l’entraînement, jusqu’à la touche finale du driver ou du jockey.
Aussi devrait-on laisser les acteurs des courses et de l’élevage libres d’œuvrer comme ils l’entendent –ils savent ce qu’ils font !–, tout en donnant toujours la préférence à la France, en primant les « FR », comme au galop. Au trot, on veut tellement assurer nos arrières, garantir les acquis, qu’en fin de compte, il ne se passe rien. On interdit, on contraint et, du coup, on n’avance pas. Or, qui n’avance pas recule, c’est bien connu. Le progrès naît de l’innovation, de la prospection. En résumé, il faut être de l’avant.
On est en droit de penser que nous avons actuellement, en France, les deux meilleurs trotteurs du monde, capables d’aller ferrés, qui plus est, ce qui ajoute grandement à leur fiabilité