Les coulisses d'une vente record

Historique est le premier adjectif qui jaillit quand il s’agit de relater la vente de Nodessa Josselyn (Ready Cash) à 740.000 €, lors du jour 1 des ventes de yearling sélectionnés d’Arqana Trot. Mais un mot peut-il concentrer toutes les variations d’une histoire multimodale, aux résonnances plurielles ? Non. Car ce record est le fruit de plusieurs histoires qui se sont réunies en une, ce mercredi à 22 heures 20. Voyage au cœur d’une vente exceptionnelle et tentative de décryptage des ingrédients de la recette magique Nodessa Josselyn. Avec, dans tous les rôles, du chef de cuisine au chef de salle, Pascal Bernard. "L’histoire de ce record est aussi l’histoire d’un mec" aurait pu lancer Coluche.

Avec Nodessa Josselyn (Ready Cash & Belina Josselyn), c’est une part exceptionnelle du trot français, sorte de concentré d’ultra excellence, qui a été achetée. On parle ici sans doute – car on est évidemment dans le subjectif – du plus bel espace de la vitrine du livre généalogique du trotteur français des années 2020. Mais une vitrine aussi belle soit-elle n'incite pas aux achats illimités. Pour arriver à susciter autant de convoitises et afficher 740.000 €, il fallu que les planètes s'alignent parfaitement mercredi. C'est au cœur de cette histoire, sous forme de success story ou de conte de fée, que 24h au trot vous propose de plonger.

La décision de Pascal Bernard de présenter Nodessa Josselyn est évidemment le fait fondateur de l’histoire. Le troisième produit de la championne Belina Josselyn (Love You), au palmarès du triptyque le plus prestigieux du programme français (Prix d’Amérique – de France – de Paris) représente la quintessence d’un élevage qui n’a plus à faire ses preuves, devenu un pilier de l’élevage national, ayant produit des champions et championnes, générateur d’étalons (Cézio Josselyn, Himo Josselyn) et de grandes poulinières qui écrivent l’histoire lancée par Yvan Bernard, en figure tutélaire et référence permanente de Pascal le fils. Vendeur réputé pour sa transparence, l’animateur du haras du Bois Josselyn a construit, développé et conforté la confiance sur son label d’élevage. Il est vendeur sans chichi, avec des prix de réserve raisonnables. Il ne tire pas le fil de l’intéressement permanent en restant associé à ses produits en vente, de ceux qui jouent sur les prolongations, de peur de perdre, voulant ainsi gagner sur les tous les tableaux, ceux de vendeurs et d’acheteurs. Pascal Bernard aurait pu garder Nodessa Jossselyn, en nom propre ou en association (quoique que dans ce cas, cela soulève des arbitrages nécessaires dans l’exploitation d’une future carrière de poulinière) dans la droite ligne de Liza Josselyn (détenue en nom propre) et Mythique Josselyn (conservé en association). Mettre sur le marché, avec le profil "authentique et rassurant" de Pascal Bernard est le geste fondateur du record.



■ Fille de deux champions absolus, vainqueurs chacun du Prix d’Amérique. "Un joyau, un bijou" commentera Hugues Rousseau lors de ses harangues lors du passage sur le ring.
■ La page de Nodessa Josselyn concentre du black-type à tous les niveaux, avec une profondeur de pedigree rare, et au meilleur niveau. Une page qui n’est pas sans rappeler celles des meilleurs yearlings pur sang de la vente d’août. Des yearlings qui s’échangent pour leur part à plus d’un million d’euros.
Et puis il y a le reste :
■ une mère jeune (11 ans au moment de la conception). Bélina Josselyn a réussi un sans-faute dans son rôle de mère avec Liza Josselyn, dévoilant un très haut potentiel et déjà nantie d’un titre classique (3ème du Prix Albert Viel) et Mythique Josselyn qualifié en août de ses 2 ans ;
■ la temporalité spécifique liée à Ready Cash. L’étalon miraculeux qui domine l’élevage national depuis plus d’une décennie, effaçant tous les records sur son passage, le seul acteur français du genre à l’envergure mondiale, n’est plus depuis 2023. Nodessa Josselyn fait partie de son avant-dernière génération et s’offre comme l’une des ultimes opportunités. La finitude génère une rareté qui s’apprécie comme telle.


Le décor mis en place par Arqana Trot depuis l’an dernier, avec le choix d’un jour 1 d’ultra sélection, a sans doute participé à l’histoire du record. L’idée est d’attirer des acheteurs à fort potentiel, intervenant sur les grandes places internationales et notamment américaines. La tenue de la première édition d’une vente de yearlings internationaux, non français, en préambule aux ventes "nationales" est un nouveau levier de ce processus de recrutement international. Olivier Delloye, directeur général d’Arqana, revient sur ces différents points : "On a vécu un moment hors du temps et en ce sens unique avec cette bataille d’enchères incroyable qui s’est finalisée par un top price à 740.000 €. Avoir trois enchérisseurs à plus de 500.000 € dans une vente de yearlings trotteurs est incroyable. Cette pouliche aussi bien née est une rareté et aussi déjà une pièce de collection. C’est une fierté pour Arqana Trot d’avoir pu mettre en scène un tel moment d’émotion si particulier. Cette vente montre qu’au trot, quand il y a une pouliche très bien née, de très haut de gamme, il y a une vraie demande en face, qui peut venir de France et de l’étranger. Cela pourrait donner des idées à certains éleveurs/propriétaires. J’ai trouvé que la demande étrangère était plus importante lors de cette vente que d’habitude. Elle était peut-être aussi plus nécessaire en lien avec une participation française plus timide que l’an dernier. C’est le résultat de notre démarche, depuis plusieurs années, d’élargissement de la clientèle acheteuse, notamment de faire venir des étrangers sur cette vente de sélection. Je pense que notre vente internationale (Select yearling European Sale) nous a permis de capter une clientèle étrangère acheteuse qui ne serait pas venue pour notre vente de yearlings trotteurs français. De ce point de vue, l’effet synergie a bien fonctionné sachant notre vente étrangère recèle encore de vraies marges de progression."



Hugues Rousseau, directeur général d’Arqana Trot, va dans le même sens : "La stratégie d’avoir fait venir des acheteurs internationaux s’avère payante. Ils ont été extrêmement actifs. Et cela se concrétise dans leurs achats directs et dans leur rôle d’underbidders sur de nombreuses enchères. Avec leur relais, on escomptait doper le niveau de nos ventes en France, c’est ce qui s’est passé. Et j’ai dans l’idée que cela pourrait continuer dans les jours qui viennent."



Un message positif pour les autres acteurs du marché
Signé par le Haras du Bois Josselyn, le top historique est vu comme un modèle à suivre par la plupart des autres grands acteurs du marché des ventes.
Numéro 1 des vendeurs, Marie Tourainne, animatrice du Haras d’Ecouché, commente ainsi : "Concernant la top price historique Nodessa Josselyn, je trouve fabuleux que son éleveur Pascal Bernard l’ai présentée dans une vente publique en France. Sa valeur résiduelle d’élevage est énorme et son prix est dès lors justifié. On est vraiment là dans l’exceptionnel. Cette transaction est aussi très positive pour l’élevage."



À la tête de l'Elevage Madrik, Adrien Leclerc déclare pour sa part : "On a vu un top historique et c’est motivant car on est là pour présenter de tels chevaux. C’est une vraie vente qui s’est bien faîte et qui attire les convoitises dans le bon sens du terme."
Pour Carine Romarie, du Haras de la Paumardière, "il y avait 500 rêveurs dans la salle quand Nodessa Josselyn est passée sur le ring. Un tel record tire globalement les ventes vers le haut".
Marc-Antoine Besnard, de l'Ecurie de la Tour de Vandel, juge : "C’était une belle vente, prouvant qu'avec un produit extraordinaire, on peut attirer des clients capables d'acheter à ce niveau-là. C'est bien sûr une très bonne nouvelle et il faut féliciter tous ceux qui y ont contribué."
Jean-Charles Fortin, du Haras d’Atalante, parle d'un "top record historique établi par Nodessa Josselyn très positif à mes yeux. C’est comme un message d’espoir à l’ensemble des acteurs de l’élevage. C’est comme un aspirateur vers le haut".


Pour générer un tel prix, il faut une bataille d’enchères, une guerre à couteaux tirés entre des potentiels acheteurs motivés. Seul l’un d’entre eux gagnera, les autres endossant les rôles de sous-enchérisseurs (underbidders). Ils étaient encore cinq à agir à 500.000 €. Sabine Kagebrant, pour la Stall Courant AB, sera la dernière à abdiquer à 720.000 €. Juste avant, Florent Fonteyne a baissé les armes à 620.000 €. Un peu plus tôt, Thomas Bernereau est aussi sorti de la course pour acquérir la pouliche, tout comme Gaetano Pezone et Bertel Maigaard - ce dernier est l'auteur du deuxième meilleur prix de la vente internationale de mardi, à 160.000 €, pour la fille... d'Uza Josselyn.

◆ Florent Fonteyne
"Cela a été une super aventure même si elle ne s'est pas concrétisée par l'achat espéré. C’était un moment que je n’avais jamais vécu, un moment incroyablement excitant, chargé d'adrénaline. Cela a été à la fois une séquence hors du temps et un moment rare. C'est un projet qui a débuté il y a plusieurs semaines quand un des associés potentiels m'avait demandé d'aller la voir. Cette personne était Jean-Pierre Dubois. Je ne savais pas dans quelle mesure un tel achat pouvait se réaliser. Au fur et à mesure de la journée hier (lire mercredi), plusieurs personnes ont manifesté leur intérêt. Je savais que Jean-Pierre Dubois cherchait des partenaires. J'ai pu greffer tout le monde pour essayer de l'acheter. Autour de Jean-Pierre Dubois, il y avait l'Ecurie du Closet (les frères François) et leur associé Yann Pottier, c'est à dire l'entourage d'Horsy Dream. Il faut encore ajouter Yannick Pierre. et un jeune investisseur dans la filière, Grégoire Benedet. C'était vraiment une association exceptionnelle, avec plusieurs acteurs clés de la filière, pour un projet exceptionnel. Nous avons monté jusqu’à 620.000 €, au-delà de notre budget initial de 500.000 €. C'est la loi des enchères. Un pedigree comme celui de Nodessa Josselyn n'existe pas sur le marché et cela n’a pas de prix."


◆ Thomas Bernereau
"C'était très intéressant de voir comment réagit le marché face à une telle offre et la réaction est claire. De notre côté, nous nous étions fixé une limite aux alentours des 500.000 € car économiquement nous avons des structures à gérer. On a été présents mais trop courts. On est contents pour Pascal Bernard qui a osé et qui a réussi. C'est très positif car cela va encourager nos clients haut de gamme à investir dans le meilleur avec des espoirs de résultats. C'est très porteur. Nous ? Il s'agit de la famille Bernereau, Gianni Fascella et l'Écurie Gaël."


740.000€, c'est bien sûr beaucoup, beaucoup d'argent. Factuellement. Mais est-ce pour autant cher ? Considérant la rareté du "produit", on peut tout de suite répondre non. "Plus que l’achat d’une pouliche, c’est une part du trot français qui est acquis ici" a-t-on pu entendre dans les travées de l'établissement de ventes ce jeudi matin. Pour Florent Fonteyne, "cela n’a pas de prix". C’est en fait un concentré du livre généalogique du Trotteur Français (en partie du moins) qui a changé de propriétaire en quatre minutes. Combien de temps aurait-il fallu prendre pour créer une telle page de catalogue en partant de rien ? Et avec quels moyens ? Réponses impossibles. En revanche, chacun peut aller de ses estimations de potentialités de retombées futures quand la pouliche sera une compétitrice puis quand elle sera reproductrice. Et là, une tendance principale domine : une carrière sportive en suivant la filière française avant des visions américaines "là où le business se fait" pour reprendre les termes de Christophe Martens mercredi soir. Le long terme pourrait donc mener la déjà star Nodessa Josselyn à un mariage franco-américain, avec un étalon en vogue aux États-Unis où les yearlings les plus prisés se vendent à Lexington entre 200.000 et 300.000$ pour les plus prisés d'entre eux. L'an dernier, le top price pour une pouliche avait atteint 800.000$. Où comment réécrire l'histoire, quarante ans après qu'Yvan Bernard a fait le choix de faire saillir Quezira par Armbro Goal, Royal Prestige et Supergill, l'arrière grand-mère de Nodessa Josselyn.