Kalattine, une suissesse prête à conquérir l'Europe
Le Grand Prix de l'UET (Gr.1) 2024 sera l'un des deux temps forts de la réunion de vendredi à Vincennes, l'autre étant l'UET Elite Circuit Finale (Gr.1). Comme chaque année, on retrouvera au sein de cette rencontre internationale pour 4 ans plusieurs premiers plans venus de différents horizons européens du trot. Koctel du Dain et Krack Time Atout répondent bien à cette définition pour la France, Epic Kronos pour la Suède et East Asia pour l'Italie. Tous sont des performers de Groupe 1. La singularité de l'année est la tentative d'une ambitieuse candidate venue de Suisse. Kalattine a du talent et semble prête à sortir de sa neutralité helvétique pour devenir une grande d'Europe.
Le Grand Prix de l'UET (Gr.1), l'épreuve emblématique de l'Union Européenne du Trot, disputera sa 40ème édition cette année. La course fait preuve d'une sorte de nomadisme européen, visitant en alternance différents pays membres. Elle aura lieu pour la 10ème fois à Vincennes et la 15ème fois dans l'Hexagone.
Les quatre épreuves éliminatoires, deux à Vincennes le 27 septembre et deux à Åby le lendemain, ont permis de composer la grille de départ qui réunira 12 partants dans l'exercice des 2.100 mètres autostart de la grande piste parisienne ce vendredi.
Un casting de grand standing
Le casting est conforme au standing de l'épreuve. On compte deux doubles vainqueurs de Groupe 1 au sein de la délégation tricolore, avec Koctel du Dain (Boccador de Simm) et Krack Time Atout (Face Time Bourbon). Que dire de ce duo de haut vol sinon qu'il est opérationnel au haut niveau ? Lors des dernières semaines, la 2ème place de Koctel du Dain dans le Critérium des 4 Ans (Gr.1) et la victoire de Krack Time Atout dans sa batterie de l'UET en attestent. Après le forfait annoncé mardi du numéro 1 de sa promotion des 4 ans, Fame And Glory (Tactical Landing), la Suède compte sur Epic Kronos (Muscle Hill), le dauphin du précédent dans le Derby, au début du mois de septembre. La Norvège aura pour sa part en piste Just Like Heaven (Maharajah) et Powwow (Papagayo E.), 2ème et 3ème du récent Derby national (Norsk Travderby). Pour l'Italie, c'est East Asia (Ready Cash) qui aura la charge de représentation. La pensionnaire d'Alessandro Gocciadoro (pour la casaque de Jean-Pierre Barjon) est titulaire de deux Groupes 1 italiens, en 2022 et 2023, et reste sur une série de quatre victoires. Et puis, il y a la suissesse Kalattine (Prodigious).
Grand Prix de l'UET 2024
vendredi 11 octobre - Vincennes - les partants
1.
Kalattine - H. Turrettini
2.
Kuiper - D. Wäjersten
3.
Krack Time Atout - Paul Ploquin
4.
East Asia - A. Gocciadoro
5.
Epic Kronos - O. Kihlström
6.
Justlike Heaven - M.T. Gundersen
7.
Fame And Glory - NON PARTANT
8.
Koctel du Dain - D. Thomain
9.
Kaviarissime - M. Mottier
10.
Kaporal des Forges - E. Raffin
11.
Kiara de Vandel - A. Abrivard
12.
Powwow- F. Nivard
Kalattine, la suissesse ambiteuse
Jamais un candidat né et élevé en Suisse, et se produisant en Helvétie de surcroît, ne s'est imposé dans le Grand Prix de l'UET (Gr.1).
Kalattine (Prodigious) va relever un incroyable défi si l'on met en regard l'élevage suisse qui compte 33 trotteurs enregistrés en 2020 (données du stud-book suisse, tome XVI 2020), année de naissance des compétiteurs du Grand Prix de l'UET 2024, aux autres grands pays du trot européen (de l'ordre de 10.000 naissances en France).
Championne chez elle,
Kalattine n'a jamais connu la défaite dans son pays avec 21 premières tentatives, toutes à Avenches, couronnées de succès. Pour être juste et complet, il faut préciser que
Kalattine a déjà été battue à Avenches... C'était lors de sa qualification, le 23 août 2022. Ce jour-là, elle a été précédée par
Kattoba (Fabulous Wood), représentante comme elle l'élevage et l'entraînement d'Henri Turrettini. Grâce à Denis Roux, chroniqueur bien connu des courses helvètes, nous avons retrouvé le document photographique de cette qualification.
Beaucoup plus récemment, lors de ses premiers pas en France, dans l'épreuve qualificative au Grand Prix de l'UET le 27 septembre,
Kalattine a été remarquable. Elle a concédé la victoire du minimum à
Krack Time Atout. Elle découvrait évidemment la piste parisienne en l'occasion et a eu le mérite de prendre les devants dans le dernier tournant. Cette prestation confirme sans ambiguïté la dimension internationale de la suissesse qui a certes perdu son invincibilité ce 27 septembre à Vincennes mais a simultanément gagné son statut de grande d'Europe (en signant par ailleurs le chrono d'1'10''3).
Toujours grâce à Denis Roux, retrouvez un portrait tout à fait singulier d'une concurrente pas comme les autres. Le contributeur propose un portrait en mode subjectif, faisant parler la jument sur sa propre carrière. Une démarche originale pour nous aider à percer une candidate que nous connaissons encore si peu.
La belle histoire de Kalattine… par Kalattine
Je m’appelle
Kalattine et je suis une belle plante. Pas uniquement belle mais bonne aussi et c’est mon histoire que je vais vous conter en cette période automnale où les feux de l’actualité hippique se sont braqués sur moi.
Tout débute bien avant ma naissance. Henri Turrettini, séduit par
Daguet Rapide, achète ma grand-mère, l’italienne
Zuel Dra, pleine de cet étalon, en août 2006 dans une vente aux enchères Arqana à Cabourg où elle est présentée par Jean-Pierre Dubois. Croyant en sa qualité de reproductrice, mon boss n’hésite pas à requérir la saillie du crack
Ready Cash. Autant voir grand. De cette union naquit
Attaline, ma maman. Manque de bol, elle tomba la même année que son compagnon d’écurie
Attenarco, lui aussi fils de ce
Ready Cash dont il est le rejeton totalisant le plus grand nombre de victoires avec un certain
Bold Eagle, soit 47. Revenons à ma mère qui gagna quand même une dizaine de courses, aussi bien sur le sable que sur le gazon, avec le Prix de l’Elevage comme succès majeur, avant de partir au haras à la fin de la saison 2017.
Trois ans plus tard, une petite pouliche baie fait la joie de sa maman. C’est tout moi ça. Mon papa, Prodigious, je ne l’ai jamais vu. Mais l’on m’a dit grand bien de lui. Un point toutefois m’interpelle: pourquoi m’avoir baptisé
Kalattine ? Je sais que la partie "att" dans le nom, c’est la marque de fabrique des "Turrettini" et le "K" pour l’année. Je devine toutefois qu’il y a une ressemblance avec celui de ma génitrice. Enfance heureuse avant le débourrage où, là, j’en fis voir de toutes les couleurs à Laurent Bréchat. Puis l’arrivée au centre d’entraînement de l’écurie à Avenches aux bons soins de Vitor, d’Angélique, de Franck et des autres. Premiers pas sur la piste avec mes copines
Knattiga et
Kattoba avant de passer avec elles mon premier examen, la qualification, le 23 août 2022. Une formalité. Vite dit, je ne fais que deuxième de mon lot. Faut toujours se méfier des amies.
© D.R.Kalattine : (2) 2ème et battue lors de sa qualification ! Un mois plus tard, plus question de plaisanter. Là on attaque la compétition, la vraie, avec le Prix des Débutants sur le mile d’Avenches avec le boss au sulky. On aurait dû appeler cette course le Prix des Débutantes car il n’y a que des filles, dont une,
Karla des Thuyas, va se permettre de me prendre l’avantage à un kilomètre du but. Crime de lèse-majesté. Je la remets à l’ordre à l’entrée de la ligne droite en lui plaçant un uppercut avant de filer au poteau et de savourer ma première victoire. Et pour faire bonne mesure, mes deux copines viennent prendre les accessits. Rebelote six semaines plus tard dans le Critérium des 2 Ans avant de clore cette campagne initiale par une promenade de santé dans le Prix de Clôture.
J’attaque l’année de mes 3 ans la fleur au fusil en pulvérisant cette
Karla des Thuyas qui s’était à nouveau mise en travers de mon chemin. Ensuite je m’amuse, collectionnant les victoires comme d’autres les perles. Et hop, le Prix d’Essai, le Critérium des 3 Ans et la Coupe des 3 Ans tombent dans mon escarcelle. Et ce sont souvent mes deux copines qui font le spectacle derrière moi. Le 10 novembre 2023, mon entourage est un peu tendu. Moi pas. Je défie les 4 et 5 ans indigènes dans le Prix de l’Elevage que ma maman avait gagné. Pour lui faire honneur, je ne fais qu’une bouchée de mes rivaux, les laissant à distance respectable. Bon, il faut dire que les 4 ans me rendaient 25 mètres et les 5 ans, le double. Année pleinement réussie et me voilà toujours invaincue après mes treize premières sorties publiques, toutes avec mon boss au sulky. Je suis fière de moi et lui de moi, évidemment.
Cinq gros mois sans compétition, c’est long pour une gagneuse comme moi. Mais c’est pour mon bien paraît-il. Mon entourage me dégote un bel engagement le 24 avril. Même si
Keep And Go me donne une bonne réplique, je commence la saison 2024 comme j’avais terminé la précédente. Il ne faut pas perdre les bonnes habitudes. Je poursuis ma quête de petits bâtons face à mes contemporaines et contemporains qui n’en peuvent mais. Le 28 juin, on rigole moins dans l’écurie. Cette fois, je m’attaque aux "vieux tontons". Les "Bovay" tentent bien d’enrayer ma belle mécanique. Peine perdue et ils paument même le premier accessit, mon copain
Iattix étant venu les "ramasser" pour finir. Test réussi avec mention bien. Je me suis même permise de faire mes mouvements habituels de la tête durant la course. Ma marque de fabrique en quelque sorte. Bon, maintenant, je pense que mon boss, qui est toujours assis à mon sulky, a compris. Je ne suis pas n’importe qui. Est-il vraiment convaincu que je suis exceptionnelle ? Attendons le Prix des Elites du 7 août face aux meilleurs 5 et 6 ans avec un départ à l’autostart. Là c’est du sérieux. Les visages sont tendus. On joue mon avenir. Je pars super bien. Mais c’est qui ce
Nuzzle’em qui ose me contrer durant les 700 cents premiers mètres. Il ne me connaît pas, lui. J’arrive quand même à mes fins et, lancée comme je suis, je fonce, je fonce, sans bouger la tête, tellement ça décoiffe. J’écœure tous mes rivaux qui ne sont pourtant pas les premiers venus. Verdict du chrono : 1'12''1. Arrivé au cercle des vainqueurs, mon patron n’a que cette phrase à la bouche:
"on y va". Mais on va où chef ? Et un mot pour me féliciter ? C’est trop dur. Non, mes fidèles accompagnants me chouchoutent, je le mérite bien. Puis mon boss dit : direction Paris. Il paraît que j’ai trotté presque aussi rapidement qu’
Aubrion du Gers dans le Prix du Président 2018, et même plus vite d’un dixième que
Timoko classé 2ème du Grand Prix de l’UET sur ce parcours en 2011. Cela vous situe un homme, enfin une ballerine dans le cas présent.
Direction donc Vincennes. Mais avant d’y aller, je poursuis ma préparation en fêtant mes 20ème et 21ème victoires. Faut pas se laisser aller. Mon entourage profite de cette fin d’été pour m’accoutumer aux voyages en me transportant en camion aux quatre coins du pays. Depuis mon arrivée à Avenches, je n’étais jamais sortie de chez moi. On m’habitue aussi à la lumière des projecteurs, en l’occurrence ceux du paddock de saut. Cela me fait bien rigoler et je prends tout ça à la légère, ils ont l’air tellement sérieux. Puis vient le grand jour. Tout se passe bien durant le trajet. Je fais la star sur la piste parisienne. Je bouge même ma tête dans la montée, l’air de dire à mon pilote
"on ne va pas assez vite". C’est vrai ça, boss, je peux aller plus vite. Et même si ce satané
Krack Time Atout vient mettre son nez devant le mien au passage du poteau, tout le monde est ravi. Cela s’est passé comme dans un rêve. Un rêve devenu réalité et je n’ai pas osé dire à mon entourage que je me suis réservée pour la finale. Mais ça c’est une autre histoire.
Kalattine
Cela me fait bien rigoler et je prends tout ça à la légère, ils ont l’air tellement sérieux. -Kalattine
© Scarlett SchärKalattine