Quand Antonio Somma fait le show (et le chaud)

C'est le buzz du week-end après, bien sûr, la deuxième victoire d'Idao de Tillard (Severino) dans le Prix d'Amérique Legend Race. Antonio Somma a lancé un défi à Philippe Allaire : un match à deux chevaux, Golden Gio contre Ginostrabliggi, avec 500.000€ à la clé et un avantage de 50m. pour le rival du cheval du Napolitain. Mais quelle mouche a bien pu piquer le boss de la Scuderia Bivans ? On vous explique.

Il avait tout lieu d'être aux anges samedi soir. L'après-midi avait été superbe pour ses couleurs vert et jaune, ses deux protégés remportant coup sur coup le Prix Ourasi (Groupe 1) et le Prix Paul Viel (Groupe 2). Un doublé le samedi du Prix d'Amérique, au plus haut niveau de surcroît, avec deux fils de Face Time Bourbon pour couronner le tout, oui, il y avait vraiment de quoi profiter de l'instant au deuxième étage une coupe de champagne à la main. Mais non, cela ne suffisait pas pour Antonio Somma. En termes d'adrénaline, il lui en fallait plus. Il se lance donc dans une allocution de quinze secondes, tranchante comme une lame de rasoir, froide comme la pluie qui tombait alors sur Vincennes, face à la caméra d'Equidia : "Je veux lancer un défi à Philippe Allaire et Ginostrabliggi. S'il le veut, nous pourrions faire une course de 2.800m. où je lui donnerai une avance de 50m. sur Golden Gio et nous mettons chacun 500.000€ en jeu. Nous verrons bien qui gagnera". Ajoutez-y une musique d'Ennio Morricone et on s'y croirait. En plein week-end américain, Antonio Somma nous plonge au coeur du far-west et fait le show. Les réseaux sociaux s'emparent du sujet et c'était parti pour plusieurs heures de spéculations.

La question qui brûle alors toutes les lèvres : quelle sera la teneur de la réponse de Philippe Allaire ? Les fans de ses talents d'orateur et d'amateur de formule-choc se régalent par avance. Finalement, c'est par le biais d'un de ses proches, Hubert Smadja, que la tonalité est donnée : "Mon cheval est un cheval de course, pas un cheval de foire". Fin de non recevoir ? Cela y ressemble fortement. Tous les ingrédients sont en tout cas réunis pour faire le buzz et cela n'a pas manqué. Ainsi a-t-on pu lire, pêle-mêle sur les réseaux sociaux : "Ri-di-cule ! Zéro intérêt sportif, zéro intérêt pour les courses", "C'est le genre de challenge qui peut donner un peu de hype aux courses", "Erreur sur la date, nous ne sommes pas le 1er avril", "On peut y voir une forme d’arrogance, moi j’y vois aussi la volonté de faire vivre notre sport, pour une fois différemment", "Une offrande pour le "Grand Allaire" ! Merci Antonio". Il est vrai, qu'a priori le challenge semblerait très compliqué pour Golden Gio avec 50m. de handicap. Confirmation avec les cotes proposées avec humour par Jean-Philippe Izzo sur X : "Gino à 1,35 / Golden à 2,20 / Dead Heat à 30.00 !". Plus raisonnablement (même si le sujet ne s'y prête pas vraiment), à poteau égal ou avec un handicap moins important, le défi paraîtrait plus accessible. Dans les coulisses de Vincennes, dimanche, les commentaires allaient également bon train : "Quel cirque !", "Au contraire, moi, j'aime bien, ça amène du piquant", "Pas raisonnable pour celui qui doit rendre 50m.". Et encore plus original : "Personnellement, je ne trouve pas sain d'exposer des sommes colossales comme cela. En revanche, et pour voir vraiment l'engagement de chacun, je parierai le cheval. Celui qui gagne repart avec les deux chevaux. On verrait s'il y a toujours un candidat...".
Elles sont forcément multiples. Les deux hommes aux forts caractères ont travaillé ensemble par le passé, la bonne Ilaria Jet (qui n'est autre que la grand-mère de Frank Gio) ayant été entraînée un temps par Philippe Allaire avant qu'elle soit retirée de ses boxes. Des témoins racontent par ailleurs qu'un jour Antonio Somma avait ensuite demandé à Philippe Allaire de reprendre quelques-uns de ses chevaux, se voyant répondre par l'homme de Bouttemont : "Quand vous aurez fini le tour de l'alphabet avec vos entraîneurs et que je retomberai sur le A comme Allaire, alors peut-être..." Une généreuse offre formulée par le propriétaire italien pour Italiano Vero n'avait également pas abouti. Et puis, récemment, Philippe Allaire avait, avec son légendaire sens de la formule, qualifié un représentant de l'Écurie Bivans de "décaféiné à défaut d'être un vrai ristretto italien"... Ambiance quand tu nous tiens.

Résumer l'idée d'Antonio Somma à du spectacle est sans aucun doute réducteur. L'Italie propose encore un match à deux dans une de ses plus grandes courses : le Championnat Européen de Cesena, course intégrée à l'UET Elite Circuit, qui propose deux courses avec les mêmes participants lors d'une même soirée, les numéros derrière la voiture étant inversés entre les deux épreuves. En cas de deux lauréats différents, une finale à deux désigne le grand vainqueur. Par ailleurs, historiquement, les "match races" ont toujours fait partie du sport et notamment au galop. En 1851 en Angleterre, deux vainqueurs du Derby, Voltigeur et Flying Dutchman se sont rencontrés à York, chaque propriétaire ayant versé la moitié des 2000 Guinées de l’allocation totale. Devant une foule estimée à entre 100 000 et 150 000 spectateurs, Flying Dutchman s’est imposé d’une longueur, pour entrer dans la légende des courses.
Pendant le 20ème siècle, les "match races" américains défrayent la chronique. En 1920, victoire du champion Man O’War devant Sir Barton au Canada. En pleine "grande dépression", en 1938, la légende raconte que le Président Franklin D Roosevelt a ordonné une pause pendant la réunion de son cabinet pour faire partie d’une audience radio mondiale estimée à 40 millions, accroché à chaque mot d’une retransmission de la rencontre entre War Admiral et Seabiscuit, champions respectivement de la Côte Est et de la Côte Ouest des États-Unis. Le "petit poucet" Seabiscuit gagna de 4 longueurs pour faire rêver l’Amérique. 75 ans plus tard, cela donnera le thème d'un blockbuster hollywoodien. Enfin toujours au galop, un dernier grand match a eu lieu à Belmont en 1975 entre l’invaincue Ruffian et le vainqueur du Kentucky Derby Foolish Pleasure. Celui-ci a terminé en tragédie quand la pouliche s’est accidentée en course, et a marqué la fin des "match-races" en plat.
Concernant les courses attelées, le "Pace of the Century" a vu la victoire de Cardigan Bay avec Stanley Dancer à son sulky devant Bret Hanover, à Yonkers en 1966. Au Canada, récemment, il est arrivé que le cheval de l'année (trotteur ou ambleur) soit élu au terme d'un match-race. Tabernacle !