Chronos au monté : bienvenue dans le nouveau monde

Dans onze jours, à Vincennes, la Journée des Champions proposera un Festival du trot monté (ou Étrier pour reprendre les codes voulus par la SETF) avec trois courses de Groupes 1, toutes classiques, les trois Finales des Étrier 3 ans, 4 ans et 5 ans : Prix d'Essai, Prix du Président de la République et Prix de Normandie. L'occasion pour nous de vous proposer un dossier analytique sur la spécialité en trois volets. Premier épisode : les champions montés vont aussi vite voire même plus vite qu'à l'attelé.

En l’espace de dix-huit mois, le monde de l’Etrier a percé deux fois le plafond de verre en France. En décembre 2022, Granvillaise Bleue (Jag de Bellouet) devient le premier trotteur à passer sous la barre de 1’10’’ dans l’Hexagone. Elle remporte le Prix Jules Lemonnier (Gr.2) dans la réduction kilométrique d’1’09’’9. Il y a une semaine, mardi 4 juin, Hanna des Molles (Village Mystic) repousse encore un peu plus la marque record. Elle survole le Prix Paul Delanoé (Gr.3) dans le chrono d’1’09’’6. Cette performance, sur le parcours des 2.175 mètres de la grande piste de Vincennes, en fait le trotteur le plus rapide sur ce parcours, toutes disciplines confondues. Elle surpasse les 1’09’’7 d’Idao de Tillard (Sévérino), établis dans le Prix Jean Le Gonidec (Gr.2) l’an dernier. Voilà un cas de figure très particulier et sans doute unique.

L’évolution des performances est aux fondements de la raison d’être des sports, et des courses hippiques en particulier. Elle est donc recherchée, attendue et logique. Dans chaque univers sportif, elle découle d’un ensemble de variables qui se combinent, de manière multifactorielle, pour produire des performances supérieures aux précédentes. L’évolution des chronos au monté s’est déployée à très grande vitesse lors des dernières décennies, de manière supérieure encore que sa discipline sœur l’attelé.
Dans la décennie 1980/1989, le différentiel à Vincennes était de 3,2 secondes en réduction kilométrique entre le record de Reve d'Udon (1’13’’2) et celui de Reine du Corta (1’16’’4). Il est aujourd’hui, à périmètre comparable de Vincennes de 5/10ème de seconde (1’09’’1 pour Face Time Bourbon versus 1’09’’6 pour Hanna des Molles).
Si les compétiteurs au trot (attelé et/ou monté) ont pu bénéficier des mêmes avancées et progrès (génétique, alimentation, qualité des pistes, méthodes d’entraînement, matériels, ferrures et le déferrage), il est un paramètre particulier à l’Etrier qui a considérablement "boosté" les chronos de la discipline : la monte en avant. Popularisée par Philippe Masschaele à la fin des années 1990, elle a totalement rebattu les cartes. Ses conséquences sont multiples : meilleure répartition des masses et création d’un centre de gravité de l’ensemble cheval/jockey au service du système de propulsion, plus grande proximité entre le cheval et son partenaire avec une synergie accrue, capacités respiratoires du cheval améliorées (et non contrariées par les mouvements du jockey en suspension)…
Conséquence immédiate, dans la décennie 2000/2009, l’écart entre les chronos à Vincennes s’est déjà largement réduit. Les marques références de Kool du Caux à l’attelé (1’09’’8) et de Västerbo Daylight au monté (1’11’’1) se rapprochent. La convergence s’écrit sur la piste.

Des trotteurs montés virtuellement plus rapides que leurs homologues attelés ?
Avec sa réduction kilométrique d’1’09’’6, Hanna des Molles possède le record, toutes disciplines confondues, sur le parcours des 2.175 mètres de la grande piste de Vincennes. Mieux que les 1’09’’7 d’Idao de Tillard dans le même exercice. Face Time Bourbon fait encore de la résistance, dans le registre des départs voltés, avec ses 1’09’’4 sur le parcours quasi similaire des 2.200 mètres. Mais cette notion de départ est justement la variable qui interroge. Aucune épreuve à l’Etrier ne se dispute avec un départ lancé à Vincennes. Cela a pu se faire par le passé, notamment dans le Prix de Cornulier. Comment dès lors, ne pas imaginer qu’Hanna des Molles ne soit pas encore en mesure d’aller plus vite sur un 2.100 mètres autostart sous la selle ? Et comment ne pas imaginer que le record général de Vincennes (1’09’’1) ne soit pas à sa portée ?



Le montéeliten de Solvalla : producteur de records
Dans l’avancée des performances chronométriques enregistrées sous la selle, le circuit scandinave a apporté sa pierre à l’édifice. Alors que la première épreuve officielle montée a eu lieu en Suède le 5 juin 2004 (et vient donc de fêter ses vingt ans), le programme suédois propose désormais un vrai circuit. Sa particularité par rapport à la France est aussi d’actionner deux leviers favorables à l’établissement de records kilométriques : le mode de départ à l’autostart et la distance du mile. L’épreuve reine du circuit est le Montéeliten, désormais Groupe 2, intégré au programme du grand week-end de l’Elitloppet à Solvalla.
L’épreuve a très vite généré des chronos records, souvent par des Trotteurs Français. C’est ainsi que Prince De Montfort passe sous les 1’11’’ en signant 1’10’’5 dès 2010. Il faudra attendre Bilibili en 2017 pour avoir le même chrono dans l’Hexagone. Be Mine De Houelle établit le record de l’épreuve et record mondial de l’époque en réalisant 1’09’’8 en 2018. Deux autres vainqueurs ont fait aussi bien depuis : Dreambreaker en 2021 et Florida Sport en 2022. Tous ont perdu leur record mondial avec la marque d'1’09’’6 signée par Hanna des Molles, le 4 juin.

Une brève histoire des chronos de Vincennes qui sont restés dans l'histoire du trot monté

Il est des chronos qui marquent plus que d'autres. Ceux signés à Vincennes font souvent référence au niveau national. C’est encore plus vrai dans la discipline de l'Etrier où le très haut niveau, producteur des records, se concentre sur l’hippodrome du plateau de Gravelle. Au monté, Quel Soro (Ignifuge) est le premier à passer sous la barre de 1'17'' en réalisant 1'16''7 lors de sa victoire dans le Prix des Elites (Gr.1) 1987, dans lequel il rendait 50 mètres à Speed Clayettois (Joachim) sur 2.275 mètres. En 1990, Reine Du Corta (Ura) fera passer le mur de 1'16'' en remportant le Prix du Calvados (sur 2.325 mètres à l'époque) en 1'15''9.
On entre encore dans une autre ère avec la Suédoise Västerbo Daylight (Spotlite Lobell) en 2005. Elle transperce le plafond de 1'12'' pour s'imposer en 1'11''1 dans le Prix du Calvados (Gr.2), sur les 2.175 mètres actuels. À partir de 2017, Bilibili et d'autres dans sa suite afficheront des chronos d'1'10'' et fractions. Jusqu'à se heurter au mur d'1'10''0 dans le Prix de l'Île-de-France 2020 dans le cadre d'une lutte homérique avec Etonnant, crédité du même chrono. En décembre 2022, Granvillaise Bleue est le premier trotteur, en France, à passer sous la barre symbolique en affichant 1’09’’9 dans le Prix Jules Lemonnier (Gr.2). Jusqu’à ce que Hanna Des Molles ne fasse encore mieux, le 4 juin dernier, en portant ce record à 1’09’’6.

Les records des Groupes 1 à l’Etrier de la journée des Champions (dimanche 23 juin)

■ PRIX D'ESSAI (2.175 mètres grande piste)
Record : 1’11’’8 par Ibra du Loisir (Booster Winner) en 2021
→ Progression du record
◆ Décennie 1990 : 1’16’’5 par Holly du Locton (Viking’s Way) en 1998
◆ Décennie 2000 : 1’13’’2 par Scipion du Goutier (Goetmals Wood) en 2009
◆ Décennie 2010 : 1’13’’0 par Eye Of The Storm (Village Mystic) en 2017 – chrono égalé ensuite par Fado du Chêne (Singalo) en 2018 et Gala Téjy (Atlas de Joudes) en 2019
◆ Décennie 2020 : 1’11’’8 par Ibra du Loisir (Booster Winner) en 2021

■ PRIX DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE – Etrier 4 Ans Finale (2850 mètres de la grande piste)
Record : 1’12’’1 par Hirondelle du Rib (Rolling d’Héripré) en 2021
→ Progression du record
◆ Décennie 1990 : 1’16’’2 par Holly du Locton (Viking’s Way) en 1999
◆ Décennie 2000 : 1’13’’4 par Rombaldi (Lulo Josselyn) en 2009
◆ Décennie 2010 : 1’12’’5 par Fleche Bourbon (Saxo de Vandel) en 2019
◆ Décennie 2020 : 1’12’’1 par Hirondelle du Rib (Rolling d’Héripré) en 2021



■ PRIX DE NORMANDIE – Etrier 5 Ans Finale
Record : 1’11’’6 par Ina du Rib (Uhlan du Val) en 2023
→ Progression du record
◆ Décennie 1990 : 1’16’’3 par First de Retz (Podosis) en 1998
◆ Décennie 2000 : 1’13’’6 par Prince Gédé (Sancho Pança) en 2008
◆ Décennie 2010 : 1’13’’5 par Etoile de Bruyère (Kénor de Cossé) en 2019
◆ Décennie 2020 : 1’11’’6 par Ina du Rib (Uhlan du Val) en 2023