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Éric Raffin dans sa nouvelle position
Actualité - 01.10.2024

Le sulky américain, mode ou révolution ?

Les observateurs du trot ne peuvent plus ignorer un nom passé en l’espace de neuf mois de simple objet de curiosité à un matériel évoqué comme un élément déterminant pour s’imposer. Agréé en janvier dernier par la Société d'Encouragement à l'élevage du Trotteur Français (SETF), un modèle spécifique de sulky américain a fait son entrée dans le paysage national des courses d’abord de manière presque confidentielle. Depuis, l'outil a fait son chemin et on parle beaucoup de lui depuis plusieurs semaines, notamment au gré des succès d’Eric Raffin, numéro 1 des pilotes nationaux. Alors effet de mode ou révolution ?

L'évolution liée au sulky américain qui impose une autre position à ses utilisateurs, rappelle-t-elle celle connue avec la monte en avant au trot monté au début des années 2000 ? Ou ce matériel se propose-t-il plutôt comme une alternative ciblée à certains usages, et pour certains types de chevaux, au sulky classique sans tuer d’emblée le résultat à son profit ? Notre dossier, en deux volets, met le sulky américain au banc d’essai avec les témoignages de ses utilisateurs convaincus, dont Eric Raffin, et d’autres plus circonspects. En tout cas, le noir est à la mode. Depuis quelques semaines, le sulky américain noir d’Eric Raffin accompagne la majeure partie de ses succès. Le quintuple tenant du titre du classement du Sulky d’Or ne tarit pas d’éloge sur son matériel. Dès qu’une occasion se présente, il en parle comme d’un ami qui lui veut du bien, propulsant son équipement en partenaire. Il a remporté ses quatre victoires du week-end, deux à Enghien samedi et deux à Vincennes dimanche avec lui. Le sulky américain, dans une version homologuée et spécifique au marché français et européen, installe le driver dans une position reculée et plus basse que sur un sulky traditionnel, permettant de décaler le centre de gravité de l’ensemble "homme et matériel" vers l’arrière. Dès lors, le sulky agit comme une bascule qui "allège" le cheval. Au lieu d’exercer une pression sur le harnais, les brancards agissent comme s’ils soulevaient les chevaux, libèrent leur arrière-main et facilitent leur propulsion. Le sulky américain est une sorte d’outil "anti-gravité". Pour le driver, la position est différente et Eric Raffin nous commente : "Moi, je me sens bien dans le sulky américain ! J’ai eu besoin d’un temps d’adaptation mais désormais j’ai pris mes marques. Cela nous oblige à un certain équilibre avec les pieds qui sont simplement posés et, personnellement, je préfère cette position."

Les différences sulky américain / sulky classique

■ Position vers l’arrière et plus basse du driver : ce qui entraîne un effet de bascule et "soulèvement" du cheval, comme anti-gravitationnel.
■ Plus étroit : les brancards encadrent le trotteur de plus près, faisant office de guide de direction mais limitent les capacités de tourner (et donc de volter).
■ Plus lourd : même si la version homologuée en France, avec un pont en alliage utilisé dans l’aéronautique et des brancards en carbone, est nettement plus légère que la version américaine d’origine, le Finntack Yankee est plus lourd que les sulkys de dernière génération en carbone.

Une capacité à aider la propulsion

La question de la propulsion est au cœur de l’utilisation du sulky américain. De nombreux témoignages pointent ce sens, au-delà des études théoriques, mêlant physique des forces et cinétique du centre de gravité de l'ensemble "sulky+driver". Pierre-Yves Verva évoque ainsi cette sensation lors de sa prise de contact avec le sulky américain : "J’ai emprunté le sulky d’Éric (Raffin) sur l’hippodrome d’Amiens et j’ai eu de bonnes sensations. Je pense qu’il "porte" un peu les chevaux et leur permet d’avoir une allure plus fluide. J’ai également l’impression qu’il est plus droit dans un parcours. Comme pour tous les sulkys, il y a des réglages à effectuer. Une chose est certaine, si vous n’avez pas le cheval en pleine forme, vous aurez beau mettre le sulky américain, il ne fera pas de miracle."
L’avis d’Eric Raffin : "Je trouve que les chevaux légers d’allures sont mieux avec ce sulky. Ils n’iront pas plus vite mais je pense qu’ils sont plus en mesure de prolonger leur effort. L’équilibre de ce sulky est meilleur que les autres, le poids est mieux réparti. Il y a bien sûr un réglage à faire en fonction du modèle des chevaux mais la majorité s’y adapte. Regardez les drivers dans la phase finale, ils sollicitent différemment leur cheval, ne donnent pas ou peu de coups de cravache et le cheval termine souvent mieux ses parcours. Ce sulky aide à la propulsion. J’ai l’impression qu'il libère le cheval et lui permet d’utiliser plus ses postérieurs."
Si vous n’avez pas le cheval en pleine forme, il ne fera pas de miracle

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Éric Raffin & son sulky américain
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Eric Raffin et Kash Lady (4) dominent Destiny di Poggio et Jean-Michel Bazire : 2 drivers dans 2 positions bien différentes

Ils préfèrent le sulky classique

Des professionnels nous ont fait part de leur impression mitigée après leurs premiers contacts avec le sulky américain.
■ Franck Nivard : "J’ai eu l’occasion de driver à quelques reprises avec et je ne suis pas très à l’aise avec cette position pour le moment. Il me faudra un temps d’adaptation pour l’utiliser régulièrement avec de bonnes sensations."
■ Benjamin Rochard : "Je ne me sens pas à l’aise dedans, peut-être est-ce dû à ma taille (rires). Le fait d’être couché nous oblige à nous pencher et nous n’avons pas appris comme cela en France. Il va nous falloir un temps d’adaptation. J’ai l’impression qu’il convient à la plupart des chevaux et est une aide en fin de parcours pour ceux qui sont un peu froid. Est-ce un effet de mode ? Éric (Raffin) gagnait déjà beaucoup de courses avant d’avoir ce sulky !"

Matthieu Abrivard fait partie des drivers français les plus expérimentés avec un sulky américain, notamment lors de ses tentatives à l’étranger associé au crack italien Vivid Wise As (Yankee Glide). Il nous explique pour sa part : "J’ai eu l’occasion de l’utiliser régulièrement en Italie avec les chevaux d’Alessandro Gocciadoro. J’ai l’impression que le sulky américain convient bien pour les chevaux un peu lourds. Notre position sur l'arrière du pont les "lèvent" un peu et semble les libérer dans les allures. Elle permet une meilleure propulsion et offre un contact permanent avec la bouche du cheval. Ce sulky est très bien avec des chevaux faciles. Il me semble que les chevaux d’un tempérament froid sont aussi un peu plus volontaires avec lui."

Notre position offre un contact permanent avec la bouche du cheval (Matthieu Abrivard)

Un sulky qui garde la ligne

Le resserrement des brancards le long des flancs du trotteur, avec un écartement réduit par rapport à son homologue classique, transforme le sulky américain en aide au maintien d’une trajectoire vers l’avant, sans flottement latéral. Le trotteur est comme dans un couloir, dans une logique semblable à celle procurée par les barres de côtés quelquefois ajoutées en appoint sur les sulkys européens.

Après avoir fait un essai chez lui à l'entraînement avec Go On Boy (Password), Romain Derieux vient de présenter son partenaire avec un tel sulky à Mons dans le Grand Prix de Wallonie (Gr.1). Une sortie couronnée de succès. Au sein des impressions du professionnel, il y en a une qui parle de la capacité du sulky à guider le concurrent dans sa trajectoire : "Le plus important est que je sentais mon cheval à l’aise ainsi. Je n’ai même pas eu besoin d’utiliser les barres de côtés."

L’avis d’Eric Raffin : "Les brancards sont plus proches des flancs du cheval et cela permet de mieux garder le cheval en ligne. Je note que certains drivers ne mettent même plus de barres de côté avec un sulky américain."

La question du départ

Le revers de la médaille en quelque sorte. En agissant comme une enveloppe resserrée autour du trotteur, le sulky américain lui laisse peu de latitude rotationnelle. Les mouvements latéraux sont réduits ou empêchés. Une contrainte qui le rend peu pratique lors de la phase de départ à la volte, quand les drivers peuvent demander à leur partenaire de tourner au plus court. Benjamin Rochard a essayé le sulky américain et met en exergue cette limite fonctionnelle : "Pour l’avoir utilisé à quelques reprises, je pense qu’il est bien sur une piste plate ou la grande piste de Vincennes avec un départ autostart. Je ne suis pas trop fan avec un départ volté car les brancards sont proches des flancs du cheval et le bloquent un peu pour tourner."

Eric Raffin : "Il faut rester vigilant à la volte, surtout avec des grands chevaux qui peuvent toucher les roues, mais en prenant des grandes voltes cela ne nous empêche pas de démarrer. Il est vraiment plaisant sur les départs à l’autostart."


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Alessandro Gocciadoro, le précurseur

Il a été le premier à s’imposer avec un sulky américain Finntack Yankee en France (il en a très vite commandé deux modèles pour l'Hexagone). Le professionnel italien Alessandro Gocciadoro est un adepte de longue date du sulky américain, dans sa version originelle, en acier. Il en possède plus d'une dizaine entre ses centres italiens et suédois. Sous la double casquette d’entraîneur et driver, "Goccia" a ouvert le bal en France le 4 février 2024 en s’imposant avec Global Agreement (Love You) à Vincennes puis en enchaînant le 10 février avec Always Ek (Filipp Roc) toujours à Vincennes. Il nous déclarait alors : "Pour moi, c'est fondamental de driver avec ce sulky. Mes chevaux sont habitués à évoluer avec et, personnellement, je suis vraiment très à l'aise dessus. Cela change beaucoup de choses pour moi qu'il soit enfin autorisé en France." Outre ses premiers succès, sa victoire avec Vernissage Grif (Varenne) dans le Grand Critérium de Vitesse de la Côte d’Azur (Gr.1), en mars dernier, avec le record d’Europe à la clé (en signant la réduction kilométrique d’1’08’’1 – amélioré depuis par Horsy Dream dans la finale de l’Elitloppet), a contribué à propager la réputation du sulky américain en France.

Sur la question du départ, le constat est le même dans la bouche d’autres drivers comme Matthieu Abrivard : "Je reste persuadé qu’il est plus efficace avec un départ à l’autostart." Globe trotter européen, le plus français des drivers italiens, Gabriele Gelormini, nous confie aussi : "Je l’utilise beaucoup mais je le préfère tout de même dans les épreuves avec un départ autostart."

Pour quel(s) profil(s) de piste(s) ?

Conçue initialement pour des anneaux uniformes, tels que ceux proposés sur le circuit américain, la variante européenne du sulky US répond-t-elle à la problématique de profils de pistes très différents que l’on connaît en France, avec notamment des hippodromes à main gauche et à main droite et des longueurs d’anneaux très variables ? La réponse est oui pour Eric Raffin, à l’exception notable des pistes en herbe qui demandent des degrés de liberté importants entre le cheval et le sulky auxquels ne peut répondre le sulky américain.

Eric Raffin : "Franchement, je ne vois pas d’inconvénient à l’utiliser sur nos différents hippodromes français mis à part ceux en herbe. Je considère qu’il convient sans problème à la majorité de nos pistes. Pour prendre un exemple, un anneau comme celui d’Amiens me semble parfaitement adapté car le sulky garde bien sa trajectoire dans les courbes et ne chasse pas comme d'autres."


Première conclusion

Ce nouveau sulky récolte donc de nombreux satisfécits. Dans notre second volet (édition de jeudi), on se posera tout de même la question d'un point de vue "cheval" et les conséquences potentielles de l'utilisation d'un pareil sulky. On se demandera également si d'autres constructeurs sont prêts à se lancer sur le secteur, à savoir que la SETF délivre une autorisation sur un modèle précis dans une gamme et non pas sur un modèle général. Mais à ce stade, si l'effet de mode est indéniable, on sent clairement qu'on se situe à l'aube d'une révolution impliquant de nouveaux ressentis pour les "pilotes", une nouvelle esthétique (la différence de position est flagrante, ce qui nous ramène au sujet de la monte en avant au monté), de nouveaux usages en termes de gestion de l'effort. Le tout avec une race du Trotteur Français qui n'a cessé, aussi en parallèle, de s'américaniser. Restera enfin, le sujet de la communication : faudra-t-il un jour déclarer aux parieurs le modèle du sulky (comme en Suède ?) comme ce fut le cas pour les intentions de déferrer ? Et si oui, comment gérer le remplacement d'un sulky américain en cas de besoin en dernière minute ? Plus qu'une mode passagère, il se pourrait bien que ce sulky américain soit synonyme de plusieurs mutations.

Suite de notre dossier dans notre édition du 3 octobre avec au sommaire :
■ les conclusions d'une étude indépendante sur la biomécanique
■ l'avis d'Alexandre Abrivard
■ le coût et le positionnement des autres constructeurs
■ un comparatif avec le sulky américain d'origine
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François Lagadeuc en position allongée sur un sulky américain

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