Jean-Yves Rayon : "Il faut savoir tourner la page"
Le 1er septembre prochain dans le cadre de la vente Rouges Terres organisée par Auctav, quatorze chevaux issus des rangs de l'élevage du Pont seront mis en vente. Des yearlings, un foal et des juments d'élevage. L'étape est importante puisque Jean-Yves Rayon a annoncé vouloir arrêter toute activité d'élevage. C'est une page des courses au trot qui se tourne pour les Rayon, presque totalement dans la mesure où leur fille Céline et leur neveu Guillaume Covès vont faire perdurer le label "du Pont" par l'intermédiaire de leurs produits. Mais dans des dimensions tout autre.
On vient donc d’apprendre la cessation d’activité de l’élevage et de l’écurie Rayon –casaque verte, manches jaunes, toque rouge–, longtemps animés par leur créateur, Albert Rayon, puis repris par le fils de celui-ci, Jean-Yves, qui, grâce à Davidson du Pont, aura fait accéder la structure maison à la consécration du Prix d’Amérique, voilà quelques années. Jean-Yves Rayon aspire, aujourd’hui, à « lever le pied » et tire sa révérence.
24H Au Trot – Quels sont les motifs de ce retrait ?
Jean-Yves Rayon – D’abord, l’âge est là. Je vais avoir 78 ans à l’automne et il y a un moment où il faut savoir tourner la page. Un élevage comme le nôtre est très lourd à porter. Les frais de fonctionnement sont importants. Nous avons pris la décision de vendre en famille, avec notre fille, Céline, et nos petits-enfants, Pauline et Nicolas (N.D.L.R. : Bazire). Nous avons fait un tour de table et il s’est avéré que la structure était trop grande et prenante pour les uns et les autres. Dès lors, il n’y avait pas à tergiverser. En principe, le haras est d’ores et déjà vendu. Un compromis est sur le point d’être signé. Les chevaux et, en l’occurrence, les trotteurs en seront toujours les hôtes. Nous avons cédé plusieurs de nos juments en début d’année et en présentons d’autres à la vente Auctav du 1er septembre, ainsi que des yearlings et foals. Nous gardons, en revanche, les étalons, Davidson du Pont et Pacha du Pont, de même que certains chevaux en location ou association, qui continuent à courir.
Nous avons pris la décision de vendre en famille
Quels souvenirs privilégier, au moment de vous en aller ?
L’œuvre que nous a léguée mon père, qui a été l’initiateur et la cheville ouvrière de l’ensemble. Mon passé de driver amateur et toutes les victoires que j’y ai enregistrées. Ensuite, en tant que professionnel, j’ai eu de belles satisfactions également, avec, pêle-mêle, les
Costa Rica II,
Italiana du Pont,
Pélican du Pont,
Baccarat du Pont,
Jalba du Pont,
Pacha du Pont… J’en oublie ! Mais mon souvenir le plus fort restera, à jamais, la victoire de
Davidson du Pont dans l’édition 2022 du Prix d’Amérique, avec notre petit-fils, Nicolas, au sulky. Des instants inoubliables !
Vous verra-t-on encore aux courses ? Garderez-vous, comme l’on dit, un pied dans la maison ?
Bien sûr ! On ne tire pas un trait, comme cela, sur une vie tout entière dédiée aux chevaux. Nous avons encore nos étalons. Notre fille a des poulinières, qui lui avaient été offertes par mon père, à l’instar de notre neveu, Guillaume Covès. Nous avons nous-mêmes laissé quelques juments à notre petit-fils et à notre petite-fille. Les « du Pont » n’en ont peut-être pas encore fini de faire parler d’eux !
On ne tire pas un trait, comme cela, sur une vie tout entière dédiée aux chevaux
L'histoire d'une saga en vert, jaune et rouge
Les "du Pont" ont animé la vie des courses depuis près de huit décennies. C'est donc peu dire qu'une page va se tourner avec l'arrêt de l'activité du haras qui a vu naître le vainqueur du Prix d'Amérique 2022 : Davidson du Pont (Pacha du Pont), pur produit maison confié aux jeunes mains de Nicolas Bazire. Dans le cadre de ce succès aux allures de consécration ultime, le magazine "360" avait rappelé le souvenir du créateur du label. Extrait :
"Albert Rayon {le père de Jean-Yves} nous a quittés en 2014, à l’âge de 93 ans. Il avait dédié sa vie au cheval, initiant l’élevage et l’écurie maison à la fin des années 1940, à la Ferme du Pont, sur la commune de Fleuré.
Ursuline IV, une fille de Mably, achetée l’équivalent de 500 euros, fut sa première poulinière.
©ScoopdygaDavidson du PontElle lui donnera
Hiatus du Pont, gagnant de deux semi-classiques, et plusieurs femelles, dont descendent le classique
Upsal du Pont, vainqueur du Prix d’Essai et deuxième d’Une de Mai dans le Critérium des 3 Ans, et le bon
Vallauris du Pont, qui deviendra un étalon intéressant.
Finir en beauté
À propos du déroulement de sa carrière, Jean-Yves Rayon expliquait dans ces mêmes colonnes : "
En 1971, à l’âge de 24 ans, je suis passé dans les rangs des professionnels, « touchant » d’emblée une jument de premier plan en Costa Rica II, qu’avait achetée mon père et avec laquelle j’ai été deuxième d’Une de Mai dans une édition du Prix de Paris. Une trentaine d’années plus tard, Jalba du Pont a été mon dernier cheval de Groupe I, à la deuxième place, également, du Prix de Paris et à la troisième du Critérium des 5 Ans, quoique j’aie mené une fois Davidson du Pont, lorsqu’il avait 3 ans. J’ai raccroché à 70 ans, en 2017, sur le score de 1.111 succès : je voulais ne rester que sur des petits bâtons !"
Deux juments de base
Pour construire l'élevage "du Pont", Albert Rayon aura pu compter sur deux juments capitales. Toujours dans le reportage dédié dans "360 le magazine", il était rappelé :
"Albert Rayon ne s’est pas souvent trompé dans ses achats et c’est à deux de ses déterminantes acquisitions que l’on doit Davidson du Pont. La première, chronologiquement, est celle de Bragance, acquise yearling, en 1968, pour 30.000 francs (N.D.L.R. : environ 4.500 euros, en monnaie transformée), ce qui, il y a cinquante ans, n’était pas une petite somme. Jean-Yves Rayon raconte : «
Bragance plaisait à mon père tant au modèle qu’au « papier ». Elle était par Euripide, un étalon qu’il aimait beaucoup, et Ourfa, une fille de Quiroga II (N.D.L.R. : par l’américain clandestin Calumet Delco)
gagnante de plusieurs semi-classiques et deuxième du Prix de l’Atlantique ou encore troisième du Critérium des 4 Ans. Bragance a été une très honnête jument de course. Son défaut, dans les premiers temps, était de ne pas trop vouloir partir. En la matière, c’est Michel Gougeon qui l’a déclenchée. En fin de compte, elle a remporté sept courses, dont deux à Vincennes. Mais c’est surtout à la reproduction qu’elle s’est illustrée, devenant la mère du triple placé de Critérium Pélican du Pont et l’ancêtre, notamment, de Kenya du Pont, vainqueur du Critérium des 5 Ans, ou bien de Jalba du Pont, Lalba du Pont et Pacha du Pont. » Or, ce dernier se trouve être le père de
Davidson du Pont, tandis que le susnommé
Pélican du Pont en est le père de mère. Dès lors, on comprend l’importance du rôle joué par
Bragance dans le pedigree de l’actuel champion, où elle figure d’ailleurs deux fois (4x3). En prolongement, on soulignera que
Pacha du Pont est par l’influent
Baccarat du Pont, autre élément clef de la réussite de l’élevage Rayon, et que sa mère est une petite-fille d’un sujet pareillement du cru, en l’espèce
Volubilis du Pont. Acteurs majeurs des souches « Rayon »,
Le Loir et
Ruy Blas IV ne sont pas loin non plus dans le « papier » du lauréat du Prix d’Amérique.
La patience gagnante
Catherine Rayon, l'épouse de Jean-Yves, s'amusait quant à elle à faire les comptes :
"Il aura fallu 70 ans et 1.250 naissances pour que l’élevage créé par mon beau-père obtienne son chef-d’œuvre, en l’occurrence Davidson du Pont, même si Courlis du Pont, naguère, fut également un cheval de tout premier plan (N.D.L.R. : lauréat, dans les années 1990, des Prix du Président de la République, de Normandie et de l’Ile-de-France, ainsi que de deux Prix des Elites ; deuxième, aussi, du Prix de Cornulier).
La patience est, décidément, le maître mot en termes d’élevage !"
©Scoopdyga