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Actualité - 08.03.2022

Les femmes du trot (#1/6) des histoires d'engagements

Il est toujours bon que les courses regardent ailleurs. Qu'elles dépassent leur propre horizon pour faire société avec l'environnement et l'actualité. À l'heure où des chars russes roulent sur la capitale ukrainienne de Kiev, les nouvelles du monde mettent évidemment en perspective différemment nos vies quotidiennes. L’actualité, c'est aussi - et nul besoin de les mettre en concurrence - ce 8 mars la journée internationale des droits des femmes. Nous vous proposons à partir d'aujourd'hui, jusqu'à la fin de semaine, des portraits de femmes des courses. Et toujours, on y trouvera des histoires d'engagement.



les courses ne pourraient s'imaginer sans les femmes. Comprendre sans les femmes comme actrices des courses, contributrices à part entière du spectacle hippique et au-delà de la marche de la filière hippique. Des femmes directrices de leur propre destin. Il n'en a pas toujours été le cas. De ce point de vue, les courses sont comme une chambre d'écho de la société et des équilibres internationaux, quelquefois avec retard, quelquefois en précurseurs.
Nous vous proposons des portraits de femmes par elles-mêmes. Elles sont jockey, driver, entraîneur, journaliste ou professionnelle installée à l'étranger. À toutes, nous leur avons demandé leur regard sur les courses, leur métier et leur vie.

VIRGINIE BOUDIER CORMY : "SI C'ÉTAIT À REFAIRE, JE NE CHANGERAIS RIEN"

24H au Trot.- Pour quelles raisons avez-vous choisi le domaine hippique (animal, compétition, sport). Êtes-vous issue du milieu des courses ?
Virginie Boudier Cormy.- Mon père avait des chevaux et j'ai vite été touchée par le "virus" des courses. Pourtant, à l’époque, ma mère m'a interdit de suivre une formation dans les courses parce qu’elle pensait que les filles/femmes auraient du mal à trouver leur place et à réussir à en vivre. J’ai donc passé mon BAC, fait un DEUG d’anglais puis un BTS. Je savais déjà que je n’étais pas du tout à ma place. Je l’ai fait pour faire plaisir à ma mère. Entre-temps j’ai rencontré Mickaël (Cormy) qui est devenu mon mari et je suis partie travailler avec lui. Cela fait désormais une vingtaine d’années que l’on collabore ensemble.

Avez-vous perçu un changement d'esprit vis-à-vis des femmes depuis vos débuts ?
Je trouve qu’il y a une bonne évolution au niveau des mentalités, les gens sont moins misogynes. Ils ont plus tendance à faire confiance aussi à des femmes, quelle que soit leur activité dans le milieu du cheval (dentiste, éleveuse, vétérinaire). C’est par exemple une femme qui débourre nos poulains. Les femmes ont de multiples casquettes dans ce milieu, elles ont une place à se faire et elles se la font.

La gent féminine prend de plus en plus de place au sein des écuries et sur les bancs des écoles. Votre avis ?
C’est bien. Et c’est justement quand on arrêtera de poser ce genre de questions que tout sera acquis. Mais, pour l’instant, il y a encore du travail sur ce point. Les métiers des courses ne sont pas faits que pour les hommes.

Le fait d’être une femme a-t-il été ou est-il un frein ou un accélérateur ? Si vous aviez été un homme pensez-vous que votre carrière aurait-été la même ?
Psychologiquement il faut quand même encaisser le fait de toujours faire plus. Par exemple, si on gagne, on doit montrer que ce n’est pas de la chance. Quand un homme fait ses preuves, tout est rapidement acquis. Pour nous, j’ai l’impression que rien n’est jamais totalement acquis. Il faut toujours se battre et prouver que l’on vaut aussi bien que certains hommes.

Quel est le petit plus d’une femme dans ce métier ?
Pour moi, c’est dans la relation que l’on a avec les chevaux. À mon niveau, je cours des vieux chevaux qui ont besoin de moral et de ne plus être brusqués. On a une relation différente par rapport aux hommes, plus douce, et je pense que nos partenaires le ressentent. Le cheval est l’animal qui ressent le plus les émotions, les sentiments humains.

Qu’est ce qui est le plus difficile dans votre métier ?
Montrer que l’on peut être égal aux hommes dans certains domaines. Et prouver deux fois plus notre légitimité.

Comment avez-vous réussi à conjuguer votre vie de famille avec votre métier ?
Mon mari étant entraîneur, je n’ai pas eu de difficulté à emmener mes enfants là où j’allais. C'est d'ailleurs un plaisir d'entendre sur Equidia la formule "la famille Cormy". Notre famille est unie autour du monde du cheval.

Si c’était à refaire, referiez-vous le même parcours, les mêmes choix de vie ?
Je pense que je ne changerais rien, je ne peux pas avoir de regrets. Aujourd’hui je suis amateur avec plus de 400 courses gagnées. Je sais que j’étais faite pour ça même si, à l’époque, jamais je n’aurais cru un jour pouvoir vivre ma passion, être avec les chevaux 24h/24 tout en conciliant une super vie de famille. C’est beaucoup d’efforts mais la récompense est encore plus belle. On a réussi avec mon mari à conserver un équilibre familial en emmenant nos enfants partout où on allait, quitte à ce qu’ils... manquent l’école. Nous, c’était la famille ou rien, je ne me voyais pas délaisser mes enfants au profit de ma vie professionnelle.


Virginie Boudier Cormy et son mari Mickaël

© ScoopDyga
REPÈRES SUR VIRGINIE BOUDIER CORMY
■ Mariée à Mickaël Cormy, deux enfants
■ Driver amateur (416 vict.) / propriétaire
■ Vit à côté de Roanne, à 60 km de Vichy
■ Originaire de la Mayenne

Quel est votre meilleur souvenir lié aux courses ?
Lorsque j’ai recouru après mon accident de voiture il y a quatre ans. On m’avait alors dit que je ne remarcherais plus. Ma victoire à Enghien, peu de temps après ma reprise, a été une totale résurrection. Je me suis sentie revivre, j’avais à nouveau une place. C’est un souvenir toujours très présent.

Selon vous quelle femme a été une pionnière dans le milieu hippique et pour quelles raisons ?
Je dirais Marie-Annick Dreux Sassier parce qu’elle a repris la relève de son papa, l’entraînement et l’élevage avec sa maman. Et tout ça en connaissant une belle réussite.

Quel serait votre rêve aujourd'hui ?
Mon rêve se serait que mes deux enfants connaissent une belle réussite, qu’ils soient heureux, qu’ils arrivent à vivre pleinement de leur passion, qu’ils ne regrettent pas d’avoir choisi cette voie (N.D.L.R. : les courses) et qu’ils ne restent pas très loin de chez moi, de la maison. Que l’on reste unis dans notre travail avec nos deux enfants.

Quels conseils pourriez-vous donner aux jeunes femmes voulant faire ce métier ?
Qu’il faut de la persévérance, travailler deux fois plus qu’un homme pour montrer leur légitimité. Qu’elles soient sérieuses – ce qui manque parfois –, qu’elles sachent observer et surtout écouter les conseils qu’on peut leur donner.

Face aux incertitudes sur l'avenir du modèle des courses, quelles propositions vous tiendraient le plus à cœur ?
L’enjeu important est de ramener des gens aux courses. Des hippodromes comme Lyon sont désertiques alors que c’est la deuxième ville de France, ce n’est pas normal. Il faudrait peut-être proposer plus d'animations pour les femmes et les enfants sur les hippodromes. Il faut aussi attirer des jeunes aux courses.

UNE RÉACTION EN EXERGUE
"L’autre jour un entraîneur m’a dit à Vincennes qu’il ne trouvait pas de personnel et que malheureusement il ne trouvait que des filles et je trouve ça très dommage. Le jour où on entendra plus ce genre de phrase c’est que ce sera gagné. Il reste quand même du chemin à faire."

CAROLE THOMAS : "LE VOLUME D'HEURES DE TRAVAIL COMPLIQUE LA VIE FAMILIALE"

24H au Trot.- Pour quelles raisons avez-vous choisi le domaine hippique, êtes-vous issu du milieu des courses ?
Carole Thomas.- Mon père et mon frère sont entraîneurs, ma sœur est amateur et mon beau-frère est entraîneur. Au début, ma mère ne voulait pas que je fasse le métier. Sûrement par peur. Mais j’ai mon caractère, je suis têtue et ne l’ai donc pas écouté. J’ai fait mon apprentissage au CFA de Laval en étant apprentie chez mes parents, pour la rassurer. J’ai tout appris chez mon père. J’ai débuté à 16 ans et aujourd’hui j’ai 130 victoires, essentiellement au monté à mes débuts. Quand j’ai eu mes enfants, j’ai arrêté de monter. En revanche, j’ai continué à entraîner et driver et cours peu désormais. La compétition est devenue un plaisir. Ce que j’aime le plus, c’est entraîner.

Comment pourriez-vous définir votre métier ?
C’est un métier d’hommes qui se féminise de plus en plus. C’est aussi un métier qui rend difficile la conciliation de la vie familiale et professionnelle. Par ailleurs, je pense que c’est beaucoup plus difficile pour des personnes qui n’ont pas un entourage dans le métier.

Qu’est ce qui est le plus difficile dans le métier ?
Les horaires de travail. Si on veut y être à fond, cela demande beaucoup d’heures. Si vous avez un conjoint qui travaille à l’extérieur, la vie familiale peut devenir compliquée. Moi j’ai la chance de travailler avec mon mari, ce qui facilite le quotidien.

La gent féminine prend de plus en plus de place au sein des écuries et sur les bancs de l’école que pensez-vous de cela ?
C’est une très bonne chose. On voit de plus en plus de femmes jockeys. Pour celles qui ne sont pas issues du milieu, il est difficile de percer dans nos métiers. Techniquement, les chevaux ont changé aussi et les femmes ont totalement leur place avec leurs qualités propres. C’est juste logistiquement que c’est plus compliqué pour elles.

REPÈRES SUR CAROLE THOMAS
■ Fille de Gérard Delaunai (ex entraîneur), mariée à Aymeric Thomas, deux enfants d'un premier mariage
■ Entraîneur, driver, propriétaire, éleveur
■ 134 victoires (80 au monté ; 54 à l’attelé)
■ Vit à Cuillé (53)



Le fait d’être une femme a-t-il été ou est-il un frein ou un accélérateur ?
Quand j’ai commencé, j’étais avec Marie-Annick Sassier et Florence Lecellier. Nathalie Henry est arrivée ensuite mais on était tranquilles dans les vestiaires. En province, il m’arrivait très régulièrement d’être la seule femme dans les vestiaires. Nous n’étions pas forcément les bienvenues partout. Il y avait des "machos" que l’on repérait rapidement. Aujourd’hui tout ça a beaucoup évolué. On le voit notamment dans les courses montées, les pelotons sont très féminins. Les petits poids des femmes sont même recherchés.

Quel est le plus d’une femme ?
La douceur, on a une main plus douce. On complète la main de l’homme.

Comment avez-vous réussi à conjuguer votre vie de famille avec votre métier ?
C’était un peu compliqué mais, avec des parents et un mari dans le métier, cela a facilité les choses. J’ai pu conjuguer vie de famille et vie professionnelle. Mes enfants sont toujours venus aux courses, on leur donnait le biberon, la compote entre deux courses. Mais cela n’a pas toujours été évident.

Si c’était à refaire, referiez-vous le même parcours, les mêmes choix de vie ?
Je n’aurais pas fait mon apprentissage chez mes parents. C’est pour ça aussi que j’ai demandé à mon fils William de le faire en dehors du cercle familial. Je n’aurais pas changé beaucoup de choses mais ça oui. Parce qu’il faut aller voir ailleurs, déjà socialement. Et pour apprendre à vivre seul, c’est impératif.

Quel est votre meilleur souvenir lié aux courses ?
Ma victoire en 2004 dans le Prix du Pontavice de Heussey (Gr.2) à Vincennes avec Kreuilly. C’était pour mon père, il y avait les banderoles, les propriétaires étaient venus en famille. C’était un groupe et il y avait vraiment de l’ambiance. Cela reste un très bon souvenir presque vingt ans après.

Selon vous, quelle femme a été une pionnière dans le milieu hippique et pour quelles raisons ?
Nathalie Henry, pour toute sa carrière. C’est un modèle, elle a monté beaucoup de très bons chevaux et pour tout le monde. Et elle revient aujourd’hui. Après, je dirais Florence Lecellier pour sa réussite globale en tant qu’entraîneur, driver et jockey au début. Elle avait une énergie exceptionnelle, elle était bosseuse. Elle a réussi à gagner beaucoup de courses en tant qu’entraîneur, elle était sur tous les fronts.

Quel serait votre rêve aujourd’hui ?
Mon rêve serait de sortir un bon cheval, élever un classique. C’est contradictoire avec le fait que je ne suis pas une passionnée d’élevage pour l’instant mais je veux insister et je pense que je vais apprendre à aimer ça. Ce serait l’apothéose parce que je me vois vieillir, aller voir mes enfants aux courses et faire de l’élevage. Je m’imagine bien à la retraite aller voir des chevaux que j’ai élevés courir. Quand c’est un bon, cela a une saveur particulière.

Quels conseils pourriez-vous donner aux jeunes femmes voulant faire ce métier ?
Il faut être forte moralement et être surtout très passionnée. Il faut travailler intelligemment, les heures, ça ne fait pas tout. Il faut savoir ce que l’on travaille et comment on le travaille. Je pense que c’est moins une question de temps de travail que dans le passé. Aujourd’hui, il est facile de rentrer dans le métier en tant que femme. Il y a vingt ans, ce n’était pas pareil. Après, pour percer, c’est différent. Il y a des filles qui montent même après le passage chez les professionnels. Je pense notamment à Laura Planchenault ou Gaëlle Godard. Et le passage chez les pros est aussi compliqué pour certains hommes. Pour réussir, il faut trouver le bon patron, avoir les bons contacts. C’est possible. Nathalie (Henry) a ouvert la voie, d’autres l’ont suivie.

Face aux incertitudes sur l'avenir du modèle des courses, quelles propositions vous tiendraient le plus à cœur ?
Je pense que le changement de président a été bénéfique pour LeTROT. Je ne connais pas personnellement M. Barjon mais le chef d’entreprise qu’il est a réussi à maintenir le cap. Il y a deux ans, on n’était pas confiants pour l’avenir. Aujourd’hui je me dis que dans dix ans, quinze ans il y aura encore des courses. Un jour, j’aimerais bien m’investir dans un hippodrome, être bénévole ou entrer dans comité.

UNE OPINION EN EXERGUE
"Les femmes aujourd’hui ont toute leur place. À elles de trouver parmi le large panel de métiers que propose le domaine des courses (jockey, entraîneur, éleveur, journaliste, dentiste, ostéopathe…) lequel leur correspond le mieux. Les mentalités des hommes ont changé, les femmes sont désormais légitimes dans le milieu. Hommes et femmes sont complémentaires."

En famille à Vincennes

© ScoopDyga

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