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Actualité - 26.07.2022

Ils sont pour les pieds nus et nous le disent

C’est un sujet à classer dans la famille serpent de mer. Le déferrage a ses partisans et ses détracteurs. Il y a un mois, dans notre édition du 15 juin, nous avions donné la parole aux seconds. Voici donc la suite de notre dossier avec les prises de parole de ceux qui déferrent et soutiennent la démarche et ses bonnes pratiques.

Avant de donner la parole aux acteurs, tentons de sérier le sujet du déferrage. Que représente t-il actuellement ? Les derniers chiffres à notre disposition proviennent d'une étude présentée par Arnaud Duluard, chef du département élevage et santé à LeTROT, en septembre 2021. Le document présente des statistiques sur le déferrage en France entre 2015 et 2019. La période est tout à la fois suffisamment large (cinq ans) et proche de 2022 pour garder son intérêt. Elle montre que le déferrage s'est accentué de 2015 à 2019. En 2019, 37,8 % des partants ont été déferrés "6 fois ou plus" dans l'année contre 34,6 % en 2018, 32,1 % en 2017, 29,1 % en 2016 et 27,3 % en 2015. La progression est donc régulière et même quasiment linéaire sur la période 2015 à 2019.
[lire le détail des données en page suivante]


L’AVIS D’UN MARÉCHAL
Xavier Moreau est maréchal-ferrant depuis 41 ans. Il possède une longue expérience et a (et a eu) à sa charge les pieds de champions.

24H au Trot.- Comment se déroule l’association avec les entraîneurs concernant le déferrage ?
Xavier Moreau.- La majorité du temps, je dirais que c’est un travail d’équipe, en concertation avec l’entraîneur. Ils sont les mieux placés pour savoir si le cheval sera plus à l’aise ou non sans ses fers. Notre rôle est d’apporter un maximum de confort au cheval.

Comment jugez-vous qu’un cheval peut ou ne peut pas être déferré ?
La plupart du temps, nous connaissons bien les pieds des chevaux que nous suivons. Il y a d’abord un contrôle à l’œil sur la sole, la fourchette, l’angle de la phalange également. Ensuite nous avons une pince à sonder. Avec ces différents contrôles, nous sommes en mesure de voir si le cheval est apte ou non à être déferré. Chaque cheval est différent, certains peuvent être déferrés à chaque fois et d’autres sont plus sensibles. Nous avons la possibilité de mettre de la résine pour protéger le pied, cela permet d’avoir une petite couche de protection sans le poids. Evidemment, il y a toujours l’exception qui confirme la règle. J’ai déjà eu le cas d’un cheval avec une paroi assez mauvaise qui, au fil de ses courses, n’a cessé de s’améliorer. C’est à l’entraîneur également de savoir ce qu’il a à faire. Le trot est un sport d’équilibre et il y a plein de façon de ferrer avant d’arriver au déferrage.

Les données parlent d'elles-mêmes. En 2019, la dernière année de l'étude, les taux de chevaux déferrés "6 fois et plus par an" sont les plus élevés sur chaque segment d'observation, que ce soit de "6 à 10 fois" (18,91 % des cas) à "plus de 24 fois" (0,13 % des cas). Elles sont visualisées en bleu dans le tableau de bas de page. L'évolution à tendance linéaire de 2015 à 2019 sur une utilisation augmentée du déferrage confirme que la pratique est devenue omniprésente. Elle est majoritaire aussi dans le sens où seulement 15,9 % des partants n'ont jamais été déferrés dans l'année - ne serait-ce qu'une seule fois. Interrogé sur le sujet, Jean-Michel Bazire confirme cette tendance : "Le déferrage est incontournable. Plus de 80 % des chevaux qui s’imposent en région parisienne sont désormais déferrés. C’est un indice de confiance aussi bien pour les parieurs que pour les drivers. Je drive beaucoup moins pour l’extérieur qu’auparavant mais, si un entraîneur me sollicite, je lui demande au minimum un déferrage des postérieurs."

Un déferrage à Vincennes

CINQ QUESTIONS À JEAN-MICHEL BAUDOUIN ET JEAN-MARIE ROUBAUD

Professionnels reconnus, acteurs de deux régions différentes et adeptes du déferrage, Jean-Michel Baudouin et Jean-Marie Roubaud nous ont donné leur avis sur le déferrage dans le cadre du même questionnaire.

1. Pourquoi l'utilisez-vous ? Est-il incontournable pour la compétitivité de vos représentants ? Considérez-vous que le déferrage est la configuration normale des partants d'aujourd'hui ?
Jean-Michel Baudouin. – Le fait de déferrer les chevaux améliore les performances. C’est indéniable mais certains ne s’y adaptent pas. J’ai un cheval comme Intello de Chenu qui ne peut pas être déferré des quatre pieds, il est juste déferré des postérieurs et il trouve parfaitement son équilibre comme cela. J’ai l’impression qu’il fatigue moins et qu’il s’accroche moins. C’est incontournable désormais, surtout que la majorité des chevaux se présente comme çà. Maintenant, je reste persuadé que si le déferrage était interdit, les têtes de listes seraient exactement les mêmes.
Jean-Marie Roubaud. – Cela améliore les performances des chevaux. Essayer de courir avec chaussures hyper lourdes et ensuite de courir pieds nus ou avec de très fines protections. Vous verrez la différence. Et puis il y aussi le reflux sanguin qui augmente dans le pied du cheval. Bref, cela améliore. Peut-être pas tous les chevaux mais la plupart.

2. Y a-t-il des règles que vous appliquez pour son recours (contrôles des pieds par votre véto, test à la douleur, etc.) ?
Jean-Michel Baudouin. – C’est un travail d’équipe avec mon maréchal qui connaît très bien les pieds de mes chevaux. S’il me dit de ne pas le faire, je ne le fais pas. C’est vrai que je déferre beaucoup mes chevaux mais, pour la grande majorité, environ 70 %, ils ont de la résine. Cela protège le pied sans avoir de poids. Vous pouvez également les plaquer ce qui reste très léger. Il y a aussi des drivers qui nous conseillent de laisser nos chevaux ferrés après certaines courses.
Jean-Marie Roubaud. – C’est mon maréchal qui est en première ligne sur la surveillance. Quand il me dit que le cheval est sensible des pieds, je laisse ferré le cheval lors de sa sortie suivante. Il ne faut pas abuser du déferrage et être attentif aux moindres signes qui montrent que cela ne convient plus. Un cheval avec moins d’envie ou qui se raccourcit par exemple.

3. Le déferrage est-il un signe de confiance ?
Jean-Michel Baudouin. – Oui, les drivers et les parieurs sont très attentifs au déferrage. Lorsque nous trouvons que les paramètres sont réunis et que nous les déferrons c’est que nous attendons le meilleur classement possible.
Jean-Marie Roubaud. – Quand on déferre, c’est que tout est réuni : l’engagement est bon, le cheval est bien, etc. C’est effectivement un signe de confiance. Mais il y a aussi des chevaux qu’on déferre sans avoir trop le choix : des chevaux qui vont "dur" dans les genoux par exemple. Dans ce cas, on le fait pour qu’ils ne se fassent pas mal ou ne se blessent pas.

4. Que répondez-vous à ceux qui sont contre le déferrage ?
Jean-Michel Baudouin. – Mes collègues sont assez grands pour prendre leurs responsabilités et personne n’oblige personne. Ils sont tous assez professionnels pour ne pas aller à l’inverse de leurs chevaux.
Jean-Marie Roubaud. – Le déferrage est un droit. Chacun peut le faire ou non en sa conscience. Dès lors que la réglementation autorise le déferrage, c’est à chacun de faire ses choix. Chacun doit connaître ses chevaux pour savoir avec lesquels cela ne fonctionne pas. Ce qui est évidemment essentiellement, c’est que la règle est la même pour tout le monde. Je ne retrouve pas dans l’argument de ceux qui disent qu’il y a plus de casse avec les chevaux déferrés. J’en déferre beaucoup et je n’ai pas plus de casse avec eux. Au contraire même. En fait ce qui très important est la qualité des pistes.

5. Pour l'avenir des courses et leur transparence, que proposeriez-vous sur le déferrage ?
Jean-Michel Baudouin. – Je pense que l’interdiction de déferrage avant 4 ans est une bonne chose, cela permet aux chevaux d’arriver à maturité. Il y a eu beaucoup d’amélioration concertant la transparence du déferrage ces dernières années et je ne vois pas ce que l’on va pouvoir apporter de plus. J’aimerais qu’il y ait plus de contrôles sur la présentation des chevaux et le matériel utilisé sur les hippodromes.
Jean-Marie Roubaud. – La réglementation actuelle me semble bien faite dans ce domaine avec des parieurs qui disposent des informations sur le déferrage. En termes de transparence, l’essentiel est que nous soyons tous assujettis aux même règles avec les mêmes obligations d’information et de déclaration.

La réglementation actuelle me semble bonne en terme d'information.
Jean-Marie Roubaud

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JEAN-MICHEL BAZIRE : "IL SERAIT TRÈS DIFFICILE DE REVENIR EN ARRIÈRE SUR CE SUJET"

Après nous avoir préciser l'importance du déferrage à ses yeux en termes de compétitivité (lire en page 2), Jean-Michel Bazire nous apprend encore : "Dans mon écurie, toute l’équipe est soucieuse du bien-être de chaque cheval. Nous avons un dialogue de confiance avec nos maréchaux-ferrants. Depuis le temps que nous déferrons, nous n’avons pas observé plus de problèmes qu’auparavant. L’ensemble des entraîneurs est suffisamment professionnel pour voir et évaluer la qualité des pieds de leurs pensionnaires. Ils travaillent également en bonne intelligence avec leurs équipes et font les meilleurs choix concernant le déferrage.
Il faut utiliser le déferrage à bon escient mais, honnêtement, je pense qu’il nous serait très difficile de revenir en arrière sur ce sujet. Les décisions qui ont été prises ces dernières années apportent suffisamment de transparence pour les parieurs.
Personnellement, je ne serais pas contre un déferrage avant 4 ans. Pouvoir le faire à 3 ans en tout cas ne me gênerait pas."



TROIS QUESTIONS À GUILLAUME MAUPAS

"Il doit y avoir un débat sur le déferrage"

Directeur technique de LeTROT, Guillaume Maupas nous partage ses réflexions sur le sujet du déferrage, notamment sur les enjeux qu’il porte.

24H au Trot.- Nous avons donné la parole à différents professionnels sur le thème du déferrage, dans notre édition du 15 juin et dans celle-ci. Des avis divergents existent. Quel est votre perception du point de vue de la société mère ?
Guillaume Maupas.- Je constate que c’est un vrai sujet d’actualité car il alimente les conversations en permanence, notamment entre les professionnels eux-mêmes. Les élus socio-professionnels élus au sein du Comité du Trot en parlent et en parlent de plus en plus. Il faut d’abord rappeler les faits. Rappeler que la pratique nous vient des pays scandinaves et est arrivée dans les années 1980, au début à petite échelle avant de fortement se développer au cours des dernières années. Le fait qu’il y ait ce développement nous amène forcément à avoir une réflexion. Lorsqu’une pratique devient très fréquente, on se doit, en tant que société mère, de s’assurer que le déferrage est une pratique raisonnée qui n’est ni automatique ni obligatoire. Entendre des entraîneurs dire "Si on ne déferre pas, on ne peut pas gagner", cela pose question. Et puis la problématique du déferrage doit aussi s’appréhender du côté bien-être animal. C’est une évidence. Il faut par ailleurs rappeler que nous avons déjà fait évoluer la réglementation sur le déferrage, notamment en légiférant sur la notion de "plaqué" en plus du cheval ferré et déferré.

Quels seraient selon vous les éléments d’un tel débat ?
Le débat se situe sur plusieurs plans. Peut-on évaluer un impact sur la physiologie du cheval ? Y a-t-il un impact à court, moyen ou long terme sur la carrière d’un cheval lorsque celui-ci est déferré très souvent ? Et puis, il ne faut pas oublier la conséquence dans le rôle de sélection de la race dès lors que la course est le fondement d’une politique d’élevage. Ne sommes-nous pas en train de sélectionner une race du Trotteur Français avec des compétiteurs qui sont habilités à être déferrés très souvent ? Aujourd’hui, on se réjouit, au regard de la qualité des pistes et du fait que les chevaux sont déferrés, qu'on bat des records en permanence. Il faut maintenant se poser la question pour savoir si on est là pour tout faire pour battre des records absolus ? La question qui se pose est : "Déferrer aussi fréquemment que certains le font a-t-il un impact sur la carrière et la longévité de la carrière ?" Or, on sait que toute la force de la race du Trotteur Français est la longévité de sa carrière. On a déjà régulé à 2 et 3 ans avec l’interdiction du déferrage et des chevaux qui doivent courir au minimum plaqués. Faut-il aller plus loin ? Autoriser un nombre de courses maximum par an où un cheval pourrait être déferré des quatre pieds ? Respecter une période pendant laquelle un cheval ne peut pas être déferré des quatre pieds par exemple ? Dans tous les cas, le sujet doit être mis sur la table. Il doit y avoir débat et les professionnels ont toute leur part à prendre dans ce débat pour élaborer des mesures ou faire évoluer la réglementation. Tout cela doit être fait en concertation.

En terme de méthode, auriez-vous un prérequis ?
À l’image d’un sujet comme la cravache, le déferrage est aussi un sujet qui doit aussi être discuté au niveau international. On a mis cela sur la table de l’UET. Si cette pratique devait être encadrée avec de nouvelles orientations, cela devrait s’inscrire au niveau international. Cela ne peut se faire au seul niveau national.

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