Propulsion : l’inimaginable imbroglio
Le monde des courses, surtout au trot et en Scandinavie, se serait bien passé d’un tel scandale. Alors que le bien-être animal est devenu une affaire planétaire de plus en plus sensible aux yeux des consommateurs, l’incroyable « légèreté » dont ont fait preuve les instances du trot suédois (et par ricochets européennes) concernant le champion Propulsion, est tout simplement consternante. À l’heure des réseaux sociaux, fake news ou non, de contrôles anti-dopage censés être de plus en plus pointus, Propulsion a réussi à disputer 57 courses sur le vieux continent, alors que son statut de cheval névrectomisé était censé l’interdire de toute compétition en Europe. Comment expliquer un tel et inimaginable imbroglio ? Nous répondons à une partie de ces questions, tout en laissant certaines sans réponses…
Le Propulsion américain
Né le 18 avril 2011 et élevé par Fredericka Caldwell et Bluestone Farms dans le New Jersey, Propulsion est né dans la pourpre, avec pour père le top étalon Muscle Hill, considéré comme le Ready Cash américain, et pour mère la championne Danaé, lauréate des Hambletonian Oaks et des American-National Stakes, pour plus de 500 000 $ en compétition. Son frère aîné, D’Orsay, est par ailleurs considéré comme un réel espoir chez les 2 ans quand Propulsion passe, yearling, sur le ring. A cette époque et pour l’anecdote, Propulsion se nomme Deyrolle et est adjugé 250 000 €. Parmi les sous-enchérisseurs, on trouve Daniel Redén mais le dernier mot revient à une association de propriétaires US.
Entraîné par Tony Alagna mais peu précoce, le futur Propulsion ne court pas à 2 ans, s’impose à cinq reprises à 3 ans, trottant le mile en 1’52’’3 (1’09’’8) et gagne encore une course au début de son année de 4 ans à Meadowlands.
Le 27 avril 2015, soit au printemps de ses 4 ans, le cheval est opéré par un vétérinaire dans le New Jersey, le docteur Patty Hogan qui pratique une désensibilisation, par laser, de ses nerfs digitaux palmaires latéraux et médiaux aux antérieurs droit et gauche. C’est ce que l’on appelle une névrectomie, pratique tolérée aux Etats-Unis mais interdite en Europe. Selon le règlement de l’USTA, cette intervention « doit faire l’objet d’une mention expresse sur le certificat d’enregistrement USTA et électronique du cheval et ce, par le praticien vétérinaire. Il est de la responsabilité du propriétaire du cheval, au moment où a lieu l’intervention, de faire en sorte que l’information soit mentionnée sur les documents du cheval. » Cette même information doit être transmise également à la New Racing Commission.
Trois mois plus tard, le 2 août, Propulsion repasse sous le feu des enchères au Red Mile, dans le cadre de ventes organisées par Tattersalls. Pour 210 000 $, le 4 ans américain devient la propriété de la Stall Zet, appartenant au milliardaire suédois, Bengt Ågerup ayant fait fortune dans les implants médicaux avec sa société Q-Med, revendue en 2011 pour investir dans les bio-technologies. C’est Marcus Melander, le neveu de Stefan Melander chez qui Daniel Redén a fait ses classes pendant une dizaine d’années, qui signe le bon d’achat pour ses compatriotes.
Une succession de bévues et d’oublis
Le 7 août, Propulsion est contrôlé par un vétérinaire, juste avant son exportation définitive pour la Suède, qui a lieu le 20 août. Le 18 août, le rapport vétérinaire du praticien ayant réalisé la névrectomie du cheval est transmis à l’USTA qui, le 10 septembre, consigne dans sa base de données cette intervention. Quatre jours plus tard, l’USTA envoie à la Société des courses Suédoise (ST) le certificat d’exportation de Propulsion où est signalé l’opération. Le 17 septembre, Propulsion est enregistré dans la base de données de Svensk Travsport, après transmission numérique des documents. L’original du certificat d’exportation n’arrive que quelques jours plus tard, mentionnant bien la névrectomie réalisée. Le problème, c’est que cette information n’est relevée par personne au sein de l’organisme suédois. Dès lors, Propulsion est autorisé à courir comme s’il n’avait jamais été opéré du syndrome naviculaire, responsable de tant et tant de boiteries chroniques.
De retour aux US
Interdit de faire désormais la monte en Suède alors qu’il compte déjà deux premières productions nées, Propulsion est appelé à faire la monte en 2021 à Déo Volente Farms à Flemington, dans le New Jersey. Son prix de saillie a été fixé à 9 500 $, alors qu’il était de 120 000 couronnes suédoises jusqu’alors (environ 12 000 euros). Jouissant d’une très belle cote, Propulsion a vu l’un de ses yearlings adjugé 300 000 couronnes, un très haut prix sur le marché suédois.
Reste à savoir si Daniel Redén et son propriétaire, la Stall Zet, disposaient de l’information au jour « J », à savoir lors de l’achat du cheval. La logique veut que l’on réponde par la négative. L’entraîneur et son propriétaire n’avaient en effet aucun intérêt à investir autant d’argent dans un trotteur – fût-il tardif et de qualité – qui se verrait interdit de courir en Europe du fait de son statut de « névrectomisé ».
À partir du moment où cette information était passée dans les limbes,
Propulsion détenait son passeport définitif. Alors, si tant est que Daniel Redén et son propriétaire aient découvert le pot aux roses, après coup, ce n’était plus de leur intérêt de lever le lièvre.
Bengt Ågerup a fait fortune dans les implants médicaux avec sa société Q-Med, revendue en 2011.
©DR ©DR Pourquoi le trot Suédois a-t-il fait la sourde oreille ?
L’imbroglio va, malheureusement, encore connaître une autre étape, à l’été 2019. Après une nouvelle sortie victorieuse de
Propulsion, et suite à des rumeurs de plus en plus insistantes,
Propulsion est l’objet d’un examen de contrôle, à la demande des dirigeants du trot Suédois. Il relève de l’examen réalisé que le cheval montre de la sensibilité au niveau des pieds. L’affaire en reste donc là, jusqu’à début juin 2020 où, suite à son succès dans l’Elitlopp (pour sa 5e tentative), un journal de trot norvégien révèle que
Propulsion a bien été névrectomisé quatre ans plus tôt, documents de l’USTA à l’appui. Le scandale
Propulsion tombe alors dans la sphère publique.
C’est une véritable bombe à retardement car le trotteur est devenu une idole au sein de l’Europe du Trot, en Suède principalement, mais en France également. Starifié également par son entraîneur qui n’a pas son pareil pour tweeter et faire le « buzz »,
Propulsion s’est en effet taillé un palmarès de tout premier plan dans les plus grandes épreuves. Qu’on en juge :
■ 2016 : trois victoires de Groupe 1 : GP d’Aby, Hugo Abergs Memorial, Norbottens Stora Pris,
■ 2017 : deux victoires de Groupe 1 : Hugo Abergs Memorial, Norbottens Stora Pris. Record du monde battu à Jägersro où le cheval trotte le mile sur le pied d’1’08’’1,
■ 2018 : trois victoires de Groupe 1 : GP d’Aby, Hugo Abergs Memorial, Norbottens Stora Pris + UET Masters Final,
■ 2019 : trois victoires de Groupe 1 : GP d’Aby, Norbottens Stora Pris, OlympiaTravet +UET Masters Final,
■ 2020 : une victoire de Groupe 1 : Elitloppet.
Pas de pied, pas de cheval
Pierre-Désiré Allaire, récemment disparu, avait vulgarisé la formule : « pas de pied, pas de cheval ». Cette vérité de tous les jours s’illustre particulièrement dans les univers des chevaux de selle et des trotteurs, ayant pour habitude de travailler sur des sols durs. Représentant un véritable danger pour les sujets névrectomisés qui ne sentent plus leurs pieds et dès lors peuvent s’accidenter très gravement, cette pratique va totalement à l’encontre du bien être animal. Si elle est tolérée aux Etats-Unis (mais peu utilisée), pays connu pour sa « permissivité » dans les médications car le « show must go on », cette ablation des nerfs est purement et simplement interdite en Europe.
Hugues Rousseau, directeur d’Arqana Trot, confirme le propos. « Depuis une trentaine d’années que je travaille dans le monde des ventes de trotteurs, je n’ai jamais connu un litige de ce type. Si cette pratique a pu exister dans le passé, elle me semble totalement révolue. Et c’est tant mieux ! »
À Vincennes,
Propulsion s’est produit à dix reprises pour deux succès (UET Masters Final en 2019, Prix de Bourgogne 2017), une seconde place, deux troisièmes places (Prix d’Amérique et de France 2018), deux quatrièmes places (dont le Prix d’Amérique 2017), etc. complétant son compte en banque de 593 600 euros supplémentaires.
Dès l’affaire tombée sur la place publique,
Propulsion a été interdit de toute compétition, une double enquête étant diligentée par les instances du trot suédois, dont les premiers attendus sont tombés le 29 octobre, se traduisant par la disqualification du cheval dans ses 45 sorties effectuées en Suède et l’interdiction de poursuivre la monte. Pour Maria Crow, directrice de ST depuis 2019,
« l’enquête a été complexe… Je suis consciente que ces événements font beaucoup de tort à la réputation de notre sport… Nous allons devoir beaucoup travailler pour regagner la confiance de ceux qui doutent en nos procédures et cette affaire va nous obliger à balayer devant notre porte, à nous améliorer et à revoir nos procédures… »
A qui va profiter ses déclassements ?
En Suède, Propulsion a déjà perdu tous ses titres, son propriétaire se devant de rembourser les 2,6 millions d’euros glanés lors de ses 45 sorties sur son sol d’accueil, au profit des trotteurs qu’il avait devancés. Parmi ceux, il se trouve notamment les Français Dreammoko (+ 850 000 couronnes), Up And Quick (+675 000 couronnes), Bahia Quesnot (+455 000 couronnes), Bold Eagle (+300 000 couronnes).
En France, le cheval n’a pas encore été déchu de ses titres et des 593 600 euros glanés à Vincennes. En toute logique, ce scénario est le plus probable, ce qui ferait en particulier les affaires des entourages de Briac Dark (+ 97 200 euros), Bold Eagle (+ 92 800 euros), Bahia Quesnot (76 000 euros), Bélina Josselyn (67 200 euros), Bird Parker (46 200 euros) et de Billie de Montfort (17 200 euros).
L’enquête réalisée laisse entendre par ailleurs que,
« sans entrer dans les détails », des doutes subsistent quant à la non-connaissance de cette fameuse névrectomie dans l’entourage de
Propulsion et que
« des procédures sont toujours en cours ». Pour preuve, la responsabilité de Daniel Redén reste à ce jour engagée, même s’il est noté par la ST que l’entraîneur n’a pas
« enfreint intentionnellement les règles du trot suédois ».
A-t-on voulu protéger le professionnel suédois et son propriétaire, à la tête de l’une des plus grosses écuries de Scandinavie et en conséquence personnages influents dans l’économie de leur sport ? Là encore, il faudra attendre… En août 2019, Daniel Redén et son client avaient ainsi investi 1 million de dollars dans le propre-frère de
Propulsion.
Il reste une question que tout le monde se pose aujourd’hui : quel avenir se dessine pour la fameuse Stall Zet, à présent ?