Cinq décennies, cinq vainqueurs phares
Premier classique et Groupe I inscrit au programme du meeting d’hiver, le Critérium des 3 Ans est une course de légende, le plus prisé, aux yeux de beaucoup, des Critériums, celui qui désigne le roi de sa génération. En d’autres termes, un Derby, un vrai. En prélude à l’édition 2020, 24 H Au Trot balaie les cinquante dernières années de la grande course, arrêtant son choix sur un champion par décennie. Un devoir de mémoire comme de prospection, en termes d’élevage et d’influence génétique.
Années 1970 : Fakir du Vivier 1’14’’ (Sabi Pas et Ua Uka, par Kerjacques) ; éleveur : Jean-Yves Lécuyer.
L’ARTISTE
En 1974, le crack au col de cygne, qui ne porte pas encore les couleurs d’Alain Delon, mais celles de son mentor, Pierre-Désiré Allaire, s’impose presque de bout en bout, comme à la parade, drivé par « Minou » Gougeon, dans ce qui sera le premier de ses trois Critériums, avant le Critérium des 4 Ans et le Critérium Continental. Vainqueur de cinq autres Groupes I, jusqu’en Italie, trois fois à l’arrivée du Prix d’Amérique,
Fakir du Vivier, dont on avait l’impression qu’il dansait sur la piste –la classe doublée de la grâce–, remportera notamment un mémorable Prix René Ballière, aux dépens du phénomène Bellino II. Pierre-Désiré Allaire avait dit à ce sujet :
«
J’étais au sulky. J’ai drivé, ce jour-là, ma meilleure course et cela m’a procuré ma plus intense émotion professionnelle. » Il dira aussi souvent la fierté qu’il éprouva de voir
Fakir du Vivier devenir l’étalon de tête que l’on sait, à la base de l’exceptionnelle lignée de
Coktail Jet.
Années 1980 : Ultra Ducal 1’12’’ (Buffet II et Juvisy, par Fandango) ; éleveur : Paul Viel.
LE NORMAND
A la fin de la décennie, en 1989 pour être précis, un athlétique petit cheval alezan brûlé, avec étoile en tête, énergique à souhait, au jeu de jambes hors du commun, crève l’écran dans le Critérium des 3 Ans, transperçant le peloton dans la montée et courant au poteau. Elevé, entraîné et drivé par Paul Viel, qui est aussi son propriétaire,
Ultra Ducal a littéralement surclassé ses rivaux. Il n’en restera pas là, évidemment, même s’il trouva un rival de taille en
Ursulo de Crouay, qui le défit dans le Critérium des 4 Ans. Le fils de
Buffet II, étalon fétiche des Viel, n’en enlèvera pas moins quatre autres Groupes I, dont le Critérium des 5 Ans, un Prix de France, dans lequel il mit fin à l’invincibilité de Ténor de Baune, et un Prix de Paris, étant également deuxième et troisième du Prix d’Amérique. Vrai trotteur normand, consanguin sur Duc de Normandie II,
Ultra Ducal ne sera, malheureusement, pas très fertile, mais produira tout de même quelques « ppointures », comme
Grâce Ducal et
Grassano, et il est un père de mères recherché.
Années 1990 : Buvetier d’Aunou 1’14’’ (Royal Prestige et Nesmile, par Caprior) ; éleveurs : Jean-Pierre Dubois/Mme Jean-Pierre Dubois
L’AMÉRICAIN
En 1992, Jean-Pierre Dubois a ne serait-ce que
Bahama et
Buvetier d’Aunou pour gagner le Critérium des 3 Ans. Il va le faire au sulky du poulain, dont il est aussi l’éleveur, à la différence de la pouliche. L’affaire sera aisément bouclée, tête et corde, sans que son cheval ait à s’employer à fond pour résister au « Viel »
Bragi et à
Bahama, précisément, tout en s’appropriant le record de la course, sur le pied de 1’17’’9. Ce faisant,
Buvetier d’Aunou était le premier vainqueur du Critérium des 3 Ans à descendre sous la barre de 1’18’’, comme le premier fils d’un étalon entièrement américain à remporter la course depuis
Simoun M, né des œuvres de Net Worth, en 1943. Dès l’année suivante,
Carpe Diem, par
Workaholic, lui emboîtera le pas et on s’en tiendra là, jusqu’à ce jour.
Buvetier d’Aunou s’imposera encore dans le Prix de Sélection, cet hiver-là, puis dans le Critérium des 4 Ans, avant de se muer en un étalon phare, hier dans les rangs des pères de gagnants et aujourd’hui dans ceux des pères de mères.
Buvetier d’Aunou était le premier vainqueur du Critérium des 3 Ans à descendre sous la barre de 1’18’’
©Aprh ©AprhUltra Ducal pour les couleurs Viel (ici plus tard dans sa carrière, remportant le Prix de France) ©Aprh Années 2000 : Ready Cash 1’10’’ (Indy de Vive et Kidéa, par Extreme Dream) ; éleveurs : Pierre Tébirent/Carole et Pascal Berthou.
LE PHÉNOMÈNE
Des cinq auxquels nous nous référons, il est le seul à avoir déjà deux tournois classiques à son actif en prélude à son Critérium des 3 Ans, en 2008, tant il est vrai qu’il s’est octroyé, l’hiver précédent, le Critérium des Jeunes et, aux beaux jours, le Prix Albert Viel. Curieusement, cependant,
Ready Cash ne gagnera plus un Critérium par la suite, ni un classique, du reste. En revanche, six Groupes I supplémentaires viendront orner son palmarès, parmi lesquels deux Prix d’Amérique, deux Prix de France et un Prix de Paris. Quarante victoires, au total, et près de 4,3 millions d’euros de gains. Philippe Allaire, puis Thierry Duvaldestin auront tiré la quintessence de ce phénomène, qui ne fut pas toujours facile à utiliser, mais n’en donna pas moins, en la plupart des occasions, toute la mesure de son immense talent. Une œuvre poursuivie à la reproduction, où sa domination sur les palmarès français, voire européens, est sans précédent. Le courtier Frédéric Sauque, qui gère sa carrière d’étalon, aime ainsi à dire : «
J’ai syndiqué Coktail Jet et j’ai cru, alors, avoir atteint un sommet, tant sa réussite d’étalon fut extraordinaire. Mais, non, j’avais tort : Ready Cash est venu me démentir ! »
Années 2010 : Bold Eagle 1’08’’ (Ready Cash et Reethi Rah Jet, par Love You) ; éleveur : Jean-Etienne Dubois.
LE TÉMOIN
Le début d’une longue hégémonie. Nous sommes en 2014 et, pour sa première participation à un Groupe I,
Bold Eagle écrase la course de sa classe, accélérant vivement à l’intersection des pistes et laissant sur place ses adversaires, pour gagner sans être inquiété, dans des allures d’une exemplaire fluidité. L’avènement d’un crack, dans les pas de son père,
Ready Cash, qu’il relaie plus que favorablement au palmarès de ce Critérium des 3 Ans, avant de passer le témoin à
Charly du Noyer, vainqueur de l’édition 2015, et, plus encore, à
Face Time Bourbon, lauréat en 2018, l’œuvre étant parachevée par
Gunilla d’Atout en 2019.
Ready Cash règne sur la course, mais ceci est une autre histoire. Pour Pierre Pilarski et Sébastien Guarato,
Bold Eagle fera mieux que continuer sur sa lancée, surpassant même son père à la faveur, en tout, de vingt et un succès de Groupe I (sic !), dont deux Prix d’Amérique, deux Prix de France, quatre Prix René Ballière, deux Prix de l’Atlantique, un Prix de Paris, le Critérium Continental, le Critérium des 5 Ans, le Grand Prix de l’U.E.T., etc.
Il ne lui manque guère que le Critérium des 4 Ans, que, malade, il ne courut pas.
Face Time Bourbon doit encore s’imposer dix fois au plus haut niveau pour égaler le score de son aîné. C’est dire l’excellence de celui-ci, assorti d’un gain total supérieur à 5 millions d’euros, à peine inférieur à celui, historique, de Timoko, autre gagnant, en 2010, du Critérium des 3 Ans, dont il est, du reste, en 1’12’’6, le détenteur du temps record (
en étant déferré ce qui n'est plus autorisé depuis 2014 - avec les fers la lauréate 2019, Gunilla d'Atout, est détentrice du meilleur chrono, 1'13''4).
Une œuvre poursuivie à la reproduction, où sa domination sur les palmarès français, voire européens, est sans précédent
©Aprh