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Actualité - 13.12.2023

Le trot monté : entre pérennité et adaptabilité

À une semaine de Noël, la réunion du prochain dimanche, à Vincennes, est une fête avant l’heure. Trois Groupes 1 figurent au programme, dans la discipline nouvellement dite de l’Etrier, en d’autres termes celle du trot monté. C’est la journée des Cornulier Races, soit les Prix Jag de Bellouet - Cornulier Races Q1, Groupe 1 pour les 4 ans, et Bilibili - Cornulier Races Q2, Groupe 1 pour les 5 ans, mais aussi celle du Prix de Vincennes (Groupe 1), qui sacre le meilleur 3 ans monté. Une triple actualité qui donne l’occasion de rappeler combien la spécialité de l’Etrier a apporté, historiquement, au trot français et, en prolongement, ce qu’elle continue de lui assurer aujourd’hui. Saga des chevaux, bien sûr, mais des hommes, aussi, avec pour trait d’union les exploits accomplis par les uns, sous la selle des autres.

Quand on pense trot monté, on pense d’abord Fandango (Loudéac). C’est comme un réflexe, en même temps que la force de l’évidence, car Fandango demeure le plus grand trotteur monté de tous les temps, ayant signé la bagatelle de trente-huit victoires consécutives dans sa discipline d’élection, pour demeurer ainsi invaincu, dans la spécialité, pendant plus de deux ans et demi, du 2 février 1952 au 11 septembre 1954 ! À ses deux Prix de Cornulier (Groupe 1) –dont le premier à 4 ans, âge auquel il demeure le seul à s’être imposé dans le championnat sous la selle– s’ajoutent le Prix de Vincennes (Groupe 1), le Prix du Président de la République (Groupe 1), le Prix de Normandie (Groupe 1), trois Prix des Elites (Groupe 1) et deux Prix des Centaures (Groupe 1). Sans compter qu’attelé, Fandango était un élément de premier plan.
À l'attelé donc, Fandango remportera le Critérium des 3 Ans (Groupe 1), faisant donc le doublé avec le Prix de Vincennes, et fut deuxième du Critérium des 4 Ans (Groupe 1), puis troisième du Critérium des 5 Ans (Groupe 1).

Le roi Fandango

Cité par Jacques Pauc, dans son livre "50 ans de courses", Michel Gougeon, qui fut le partenaire monté de Fandango, le qualifiait d’"Ourasi du trot monté", ajoutant, en substance : "Il n’était pas très grand, mesurant un mètre soixante, mais il avait un modèle exceptionnel. Il était racé, avec une tête magnifique. Il gagnait toujours facilement, mais il fallait "être avec lui", car il changeait de jambe de temps en temps. C’était le vrai cheval monté, avec beaucoup de tenue et de train."

C’était le vrai cheval monté, avec beaucoup de tenue et de train. Michel Gougeon, à propos de Fandango

Au haras, Fandango fera mieux que transformer l’essai. Refusé par les Haras Nationaux, au prétexte, obscur, de cornage, il fit le bonheur de la famille Ballière, qui le prit sous son aile, et il essaima en toutes directions, jusqu’en Suède, où son fils, Tibur, fut un étalon de première grandeur. En France, on ne compte pas ses champions. Au risque d’en oublier, on citera les Catharina, Corlay, Dame de Carreau, Flamenco, Narvick DJ, Nicias Grandchamp, Pacha Grandchamp, Paléo, Prince des Veys, Quérido II, Ténébreuse D, Valmont et autres. De la sorte, Fandango sera trois fois tête de liste des étalons, de 1967 à 1969, entre les règnes de Carioca II et de Kerjacques. Dans la foulée, il a été tant un remarquable père de pères que de poulinières. Sa présence, répétée, dans les pedigrees d’aujourd’hui est un précieux atout. En descendance mâle, son influence a, toutefois, baissé d’intensité, au fil des années, et elle ne subsiste plus que par l’entremise de Gazouillis (Lutin d’Isigny-Firstly-Quérido II-Fandango), qui fut lui-même un trotteur monté de valeur, grand rival du champion Gai Brillant. C’est donc via le seul Gazouillis que l’on pointe les cinq héritiers de Fandango, en lignée mâle, inscrits dans le catalogue des étalons 2023, à savoir Freeman de Houelle, gagnant de Groupe 1 sous la selle, Gef de Play, semi-classique monté, Quéroan de Jay, semi-classique attelé, Séduisant Fouteau, placé de Groupe 1 monté, et Vigove, classique attelé. C’est là, en raccourci, un bel exemple de la variété des aptitudes –attelé/monté– cultivées par la lignée.

Kerjacques : l’empreinte montée de Quinio

Un autre des trois grands chefs de race de la seconde moitié du vingtième siècle est Kerjacques. Or, s’il n’était pas, véritablement, un cheval monté, ce vainqueur du Critérium des 5 Ans (Groupe 1) n’en fut pas moins deuxième du Prix de Normandie (Groupe 1), lors de son unique tentative dans la discipline. Et puis, surtout, il avait pour auteur le « Olry-Roederer ». Quinio, lauréat quant à lui des Prix du Président de la République (Groupe 1) et de Cornulier (Groupe 1) avant d’engendrer non seulement Kerjacques, mais l’exceptionnelle Masina, aussi douée attelée que montée, exercice dans lequel elle remporta deux « Cornulier », le « Président », le « Normandie » ou encore les « Elites », soit autant de distinctions au plus haut niveau que dans l’autre discipline, où elle s’adjugea le Prix d’Amérique, le Prix de France, le Prix de Paris, le Critérium des 5 Ans, le Prix de Sélection… Cela pour montrer que le trotteur français de l’époque est souvent mixte, capable du meilleur dans les deux spécialités.

"Il aurait fallu les tuer pour qu’ils disent non !" - Léopold Verroken, pour souligner le courage des produits de Kerjacques


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Fandango
Aux origines de la race
En un bref rappel, il importe de souligner que celui qui est considéré comme le chef de race du trotteur français, Fuschia, né en 1883, fils de Reynolds et d’une certaine Rêveuse, elle-même fille d’une jument pur-sang, était un trotteur monté, gagnant de quinze de ses dix-sept courses, dans la spécialité, à 3 et 4 ans. Son propriétaire refusera une offre, pourtant alléchante, d’investisseurs américains, pour son cheval, et le vendra, nettement moins cher, aux Haras Nationaux français. On peut lui en être plus que reconnaissant : Fuschia sera tête de liste des étalons à quatorze reprises, consécutivement, de 1893 à 1906. Du jamais vu et du jamais égalé, y compris à ce jour. En prolongement, on lui doit, en lignée mâle : 1️⃣ les Narquois, Beaumanoir, Koenigsberg, Boléro, Loudéac, Fandango et autres ; 2️⃣ les Bémécourt, Ontario, Hernani III, Quinio, Kerjacques et autres ; 3️⃣ les Bémécourt, Intermède –trotteur monté, onze fois numéro un des étalons et père de la phénoménale Uranie–, Gaël, Jamin et autres ; 4) ou encore les Bémécourt, Jongleur, Kalmouk, Salam, Duc de Normandie II et autres. Assorti des lignées, moins développées, de Quo Vadis et de Télémaque V, le trotteur français, au sens strict, est intégralement là, en cette demi-douzaine de ramifications, et ses fondements sont bel et bien "montés".

Cette pluridisciplinarité à l’instant soulignée, on la retrouve en Chambon P, gagnant de Groupe 1 attelé (Critérium des Jeunes), puis monté (Saint-Léger des Trotteurs), à 3 ans, et qui, s’il ne fut pas le meilleur fils de Kerjacques en compétition –loin d’avoir le palmarès des Toscan, Une de Mai, Bill D, Cette Histoire, Eléazar, Fanacques, Gamélia, Jorky, etc.–, fut, incontestablement, son continuateur le plus remarquable au haras, prenant le relais immédiat de son père à la tête du palmarès des étalons. Ainsi Kerjacques fut-il onze fois numéro un, de 1970 à 1980, avant que Chambon P ne le soit à son tour, à dix reprises, entre 1981 et 1990, soit vingt ans de domination pour le père et le fils. La qualité majeure des "Kerjacques" est leur courage et leur dureté, Léopold Verroken –qui en eut d’excellents, tels Eléazar et Jorky– étant allé jusqu’à dire, à cet égard : "Il aurait fallu les tuer pour qu’ils disent non !" (N.D.L.R. : propos rapportés par Jacques Pauc dans "50 ans de courses").
Comme Fandango, Kerjacques a été un brillant père de mères, à commencer par celui de Fakir du Vivier. Ses présents descendants, en lignée mâle, sont emmenés par le double vainqueur du Prix d’Amérique, Offshore Dream (Rêve d’Udon-Ejakval-Kerjacques), père de Josh Power, le lauréat en titre du Critérium des 4 Ans (Groupe 1), et par Prince Gédé (Sancho Pança-Chambon P-Kerjacques), qui enleva les Prix de Normandie (Groupe 1) et de Paris (Groupe 1), en même temps, platoniquement, qu’un "Cornulier". Une variété d’aptitudes –on y revient !– que l’on retrouve chez Offshore Dream, gagnant semi-classique (Prix Edouard Marcillac) et placé classique (troisième du Prix de Vincennes), sous la selle, à 3 ans.


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Kerjacques (à gauche), avec Pierre Allaire, et son fils Chambon P (à droite)

Carioca II : le champion monté à l’origine de Coktail Jet et de Love You

Par rapport à celle de Fandango et à celle de Kerjacques, la carrière de compétiteur de Carioca II, petit-fils du « vieil » américain Sam Williams et du français Javari, fut fort brève, puisqu’il ne courut que treize fois, uniquement monté, jusqu’au début de son année de 4 ans, où il fut vendu aux Haras Nationaux, pour la jolie somme, à l’époque –nous étions en 1950–, de 3.500.000 francs. Préalablement, Carioca II avait obtenu son bâton de maréchal lors de son succès dans le Prix de Vincennes (Groupe 1), brillamment gagné, sous la selle d’Albert Libeer, après un mauvais départ. L’administration des Haras n’eut qu’à se féliciter de son acquisition, même coûteuse, car le cheval devint un grand étalon, six fois sacré meilleur de ses pairs, en 1960, puis de 1962 à 1966, étant détrôné seulement par Fandango. On lui doit ainsi les Harold D III, Jariolain, Kubler L, Mario, Olten L, Quito, Quovaria, Sabi Pas, Seddouk, Ura et autres Vanina B.
Cité à l’instant, Sabi Pas deviendra le père du crack Fakir du Vivier, lui-même grand-père paternel de Coktail Jet, par le truchement de l’éphémère et trop rare Quouky Williams. Coktail Jet nous emmène à son fils, Love You, bien sûr, et à la prégnante actualité de cette lignée, dont les racines sont donc "montées".

Booster Winner : l’Etrier à l’assaut de Ready Cash !

On reste dans l’actualité en pointant le fait que le principal contradicteur de l’omnipotent Ready Cash, dans le palmarès 2023 des pères de vainqueurs, n’est autre qu’un représentant de la lignée de Carioca II, s’agissant de Booster Winner, fils de Love You s’étant forgé l’essentiel de son palmarès sous la selle, à la première place des Prix d’Essai (Groupe 1), des Elites (Groupe 1) et des Centaures (Groupe 1), en même temps qu’à la deuxième du Prix du Président de la République (Groupe 1). Dans la discipline du trot attelé, Booster Winner est le père, au premier chef, du tenant du titre dans le Prix d’Amérique Legend Race (Groupe 1), Hooker Berry, ou bien du gagnant du Critérium des 4 Ans (Groupe 1), Hastronaute, tandis que, dans celle du trot monté, il se recommande, entre autres, de Kyt Kat, leader de la jeune génération, lors du premier semestre, et d’Ibra du Loisir, lauréat du Prix d’Essai-Etrier 3 Ans-Finale (Groupe 1).

2ème édition des Cornulier Races

Lancée l'an dernier, pour mettre en pleine lumière la discipline de l'Etrier, la marque Cornulier Races se déploie dans le cadre d'une séquence de cinq courses :
le Prix Bilibili – Cornulier Races Q#1, Groupe 1 pour 4 ans,
le Jag de Bellouet – Cornulier Races Q#2, Groupe 1 pour 5 ans,
le Prix du Calvados – Cornulier Races Q#3 (Groupe 2),
le Prix de Cornulier (Gr.1), finale de la compétition et véritable championnat du monde de l’Etrier,
le Prix de l’Île-de-France (Groupe 1), revanche du Prix de Cornulier sur un parcours de vitesse.

Symbole d’excellence, de savoir-faire à la française, de féminité et d’élégance, la marque des Cornulier Races a su, dès sa première édition, impulser un nouveau souffle sur la discipline. Elle permet de réunir l'élégance et la performance propres à la discipline de l'Etrier.
Retrouvez la bande annonce de la SETF sur les Cornulier Races par ce LIEN.


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Booster Winner

Des exploits des chevaux à ceux des hommes

Dans les rangs des jockeys, l’année 2023 a été celle d’un premier Prix de Cornulier (Groupe 1) pour le double Etrier d’Or, Mathieu Mottier, grâce à Flamme du Goutier, le couple affichant l’alliance parfaite entre efficacité et esthétisme, conformément au credo de la nouvelle monte, jadis initiée par le cavalier belge, Philippe Masschaele. Une nouvelle monte à laquelle a dû s’adapter, avec succès, Jean-Loïc-Claude Dersoir, dont la carrière de jockey a commencé avant l’avènement de celle-ci. A presque 51 ans, le gendre de Joël Hallais a réussi un petit exploit, cette année, à un âge tout de même relativement avancé pour un sportif de haut niveau, comme peut l’être un jockey, en s’octroyant son dix-septième Groupe 1 sous la selle, en l’espace de trente ans, avec Ina du Rib, dans le Prix de Normandie. C’est à peine moins bien que Michel-Marcel Gougeon, dit "Minou", le légendaire partenaire monté de Fandango et de Bellino II, recordman de victoires dans le Prix de Cornulier (Groupe 1), avec sept distinctions, et dont il gagna l’édition 1991, en selle sur Queila Gédé (Prix d’Amérique 1989), à l’aube de sa cinquante-huitième année, trente-neuf ans, exactement, après son premier succès dans la course, en selle sur Dollar V. Quant à Matthieu Abrivard, on n’oubliera pas qu’en 2006, lors de la dernière des trois victoires du "cannibale", Jag de Bellouet, dans le Cornulier, il montait encore "à l’ancienne", à la différence de ses jockeys rivaux.

Pas forcément d’incompatibilité entre sang américain récent et trot monté
Autre membre du « top-10 » de nos étalons, Bird Parker, vainqueur de deux Groupes 1 montés –Saint-Léger des Trotteurs, Prix de Vincennes– et de deux Groupes 1 attelés –Critérium des 4 Ans, Prix de Paris–, tire son épingle du jeu, pour sa part, grâce aux Hussard du Landret, Idéale du Chêne et autres Izoard Védaquais, c’est-à-dire autant de gagnants au meilleur niveau, à l’attelage ou sous la selle. A la différence de toutes celles précédemment mises en évidence, la lignée mâle de Bird Parker véhicule le "jeune" sang standardbred de Ready Cash (Indy de Vive-Viking’s Way-Mickey Viking), confronté, cependant, en l’espèce, à la présence de Fakir du Vivier (Sabi Pas-Carioca II) et de Fandango, aux premières loges parmi les pères de mères. La descendance de Viking’s Way et de Mickey Viking n’est d’ailleurs nullement incompatible avec l’Etrier, comme le prouvent les trois Prix de Cornulier de Jag de Bellouet, l’un de ses représentants les plus emblématiques. De même, la réussite avérée, souvent constatée dans ces colonnes, de la branche And Arifant-Goetmals Wood dans l’exercice du trot monté, apporte sa pierre à l’édifice de la lignée mâle américaine de Sharif di Iesolo, contrebalancée, il est vrai, par le fait que la mère de celui-ci est française. Autrement dit, le trot monté contemporain est au carrefour des influences, d’autant plus ouvert à l’américanisation de notre race que la monte en avant favorise l’alchimie, de pair avec le lissage, partiel, de la piste de Vincennes, intervenu au début des années 1990 ; en résulte un profil moins déclive et, pour le coup, mieux adapté aux aptitudes des trotteurs standardbreds que par le passé.
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Minou Gougeon, une légende du monté
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La facile victoire de Bird Parker dans le Prix de Vincennes 2014

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