Antonin André : la vie en accéléré
Son nom de famille renvoie inévitablement aux exploits de son père, Jean-Paul, avec Lutin d’Isigny (Firstly) dans les années 1980. S’il a grandi dans l’ombre de la figure paternelle qui l’a inspirée, Antonin André est en train de se faire un prénom. À 21 ans, il fait partie des révélations chez les jockeys mais aussi chez les entraîneurs. Depuis un an, il a en effet repris l’écurie familiale à la suite des problèmes de santé de son père et connaît une réussite certaine.
Un gagnant mardi à Saint-Brieuc avec Goal de la Mortrie (Gazouillis), monté par ses soins, un autre le lendemain à Caen grâce à Jolicoeur du Mirel (Royal Dream), drivé par Anthony Allais, qui signe ainsi de la meilleure des manières son arrivée au sein de l’écurie de son cousin, les journées d’Antonin André ont le même parfum : celui de la réussite. "Dommage que l’on ne court pas demain", lâche spontanément le fils de Jean-Paul André quelques heures à peine après le succès caennais. "Quand ça se passe aussi bien, il faut courir !", insiste-t-il. Ça tombe bien, c’est ce qu’il aime avant tout. À 21 ans seulement, Antonin André doit pourtant jongler avec deux casquettes depuis un an. Celle de pilote - "ce qui me fait lever le matin, c’est d’aller aux courses" - qui s’est donné comme objectif cette année de gagner trente courses et de passer le cap des cent vainqueurs depuis ses débuts et celle d’entraîneur que le destin s’est chargé précipitamment de lui attribuer.
"Quand mon père a été gravement malade en début d’année dernière, je me suis retrouvé du jour au lendemain à entraîner des chevaux alors que ce n’était pas du tout prévu, rappelle-t-il. Ma maman m’a laissé le choix. Mais c’était évident de reprendre. Je ne voulais pas arrêter ce que mon père avait commencé à faire depuis que j’étais passé apprenti, poursuit-il. Il souhaitait en effet de nouveau avoir des chevaux pour que l’on puisse travailler ensemble."
Entraîneur par la force du destin
Être entraîneur était loin des aspirations du jeune homme de 20 ans épris de compétition. Il livre une anecdote qui l’a conforté dans sa décision :
"À cette période-là, je me suis trouvé à faire la route en camion avec Mathieu Mottier qui avait un peu connu cette situation. Il m’a alors dit : "Tu feras les erreurs avant les autres, c’est tout".
J’ai gardé sa phrase à l’esprit. Je fais à ma manière et j’essaye de travailler du mieux possible". Et visiblement, ce n’est pas mal du tout. Cette semaine, son entraînement a ainsi remporté ses 8ème et 9ème succès de l’année pour 54 partants, soit un taux de réussite à la gagne de 17 %. Un taux qui grimpe à 35 % si l’on prend en compte les places sur le podium. Son premier exercice s’était quant à lui conclu sur 8 victoires et près de 150 000 € d’allocations.
Mathieu Mottier m'a dit : "Tu feras les erreurs avant les autres, c'est tout".
"L’effectif a plus que doublé par rapport à l’an dernier quand je me suis retrouvé à la tête de l’écurie, nous apprend Antonin André.
À l’époque, il y avait à peine quinze chevaux. Aujourd’hui, on est à 35 avec les poulains. On a récupéré beaucoup de chevaux souffreteux pour aller à la mer." Il apporte un début d’explication à cette évolution :
"J’ai eu pas mal de réussite l’an dernier comme jockey pour l’extérieur et cela m’a permis de récupérer des chevaux. C’est le cas des "Mirel" par exemple. J’ai connu Suzy (Vachet) quand je travaillais chez Matthieu Abrivard. Jacques Bruneau m’a mis aussi des chevaux. Je suis très copain avec Charles, son fils, et cela l’intéressait de mettre des chevaux à la mer".
L'ancrage normand
L’écurie familiale est installée à Englesqueville-la-Percée (Calvados), à trois minutes en camion de la plage. Autant dire que c’est le quotidien de ses pensionnaires.
"Je n’ai qu’une toute petite piste de 800 mètres. On y fait essentiellement de l’entretien et des petits boulots. Et puis, j’ai toujours été habitué à travailler à la plage. Mon père y travaillait. J’ai été chez Pierre-Louis Desaunette qui travaille aussi à la plage. C’est comme ça que je vois les choses, avance l’ancien apprenti de l’écurie Lagadeuc où il a passé quatre ans.
C’est bon aussi pour le mental des chevaux et des hommes. Je ne me verrais pas travailler ailleurs même si cela ne nous empêche pas d’aller trotter à Graignes qui est à vingt-cinq minutes."
Il n’est pas question pour autant de tout accepter.
"J’essaye beaucoup de chevaux, je fais le tri. Je ne suis ni acharné, ni entêté, estime-t-il.
Et puis, ça m’énerve de trotter de mauvais chevaux. Je veux trotter des chevaux de qualité, quitte à ce qu’ils soient souffreteux ou fragiles." On sent là son intérêt tout particulier pour les soins plus que la préparation en elle-même.
Un gain express de maturité
Antonin André ne le cache pas : sa préférence va et reste à la compétition. Mais l’année passée lui a ouvert les yeux en quelque sorte sur l’entraînement.
"Quand vous passez de meilleur apprenti monté de France (N.D.L.R. : titre décroché en 2021)
à pro avec une quinzaine de chevaux à entraîner et être patron d’une écurie, ce n’est plus du tout la même chose, décrit-il lucide.
Vous ne voyez plus les choses pareilles. C’est plus de responsabilités, beaucoup plus de stress. Avant de reprendre l’écurie, je ne voyais pas plus loin que le lendemain. Aujourd’hui, il faut anticiper, voir pour les mois à venir et même la saison suivante."
Fort de la maturité gagnée depuis et de la force de son entourage familial et amical, le jeune homme reconnaît avoir changé :
"J’apprends à mieux comprendre les chevaux, à composer avec leurs humeurs. Avant, quand ça m’énervait, j’avais tendance à tout jeter et à m’en aller. Quand vous êtes patron, vous ne pouvez plus le faire. Ça m’a fait progresser énormément. Quand vous êtes le dos au mur, vous n’avez pas le choix. C’est peut-être dans ces moments-là que l’on apprend le mieux. J’ai aussi la chance d’être très bien accompagné, que ce soit ma compagne Loane Fauchon ou ma famille".
Avant de reprendre l’écurie, je ne voyais pas plus loin que le lendemain.
Sa motivation, il la tire aussi de sa volonté de montrer à la figure paternelle qu’il peut réussir. Déjà, sa récompense de meilleur apprenti, il la voyait comme
"une manière de montrer à mon père que je n’ai pas mal réussi jusqu’à maintenant", avait-il dit à l’époque.
"Dans ma décision de prendre la suite, il y avait aussi quelque part la volonté de lui montrer que je pouvais le faire, renchérit-il.
Mon père ne dit jamais bravo, jamais que c’est bien même quand on gagne des courses. Mais je sais très bien qu’au fond de lui, il est content."
Les chiffres d'Antonin André entraîneur
◆ 159 courses
◆ 17 victoires
◆ 20 places
◆ 256.845 € de gains
"J’ai grandi avec les trophées de Lutin"
Lutin d’Isigny (Firstly) et Jean-Paul André. C’est l’un des couples les plus populaires des années 1980, réuni par Maurice Cornière, l’éleveur et propriétaire de celui qui remporta le Prix d’Amérique en 1985 devant Mon Tourbillon (Amyot) et Minou du Donjon (Quioco) et qui alla aussi défier les américains chez eux en remportant notamment deux fois l’International Trot. Cette époque, Antonin André, né au début des années 2000, l’a vécue par procuration : "J’ai grandi avec les trophées de "Lutin", les cadres photos partout. Vous ne croisez qu’un "Lutin" dans votre vie. Aujourd’hui, cela me paraît plus inaccessible qu’avant. Quand vous êtes enfant, vous vous dites que c’est à la portée de tout le monde, que votre père l’a fait. Mais c’est un très long chemin pour y arriver. Il faut du talent, de la chance, être là au bon moment. Au final, ça ne se joue pas à grand-chose. Avoir un cheval d’exception c’est déjà très compliqué et avoir un cheval d’exception parfait le jour J ça l’est encore plus".
© ScoopDygaJean-Paul André et son fils Jockey dans le sang
Si l’effectif s’est sensiblement étoffé, on a compris qu’il n’est pas question pour Antonin André de délaisser la compétition.
"Je ne veux pas arrêter de monter car j’adore ça. C’est ma passion et c’est toujours ma préférence par rapport à l’entraînement, reconnaît-il volontiers,
même si je prends de plus en plus goût à la préparation. Pour l’instant, je veux vraiment me laisser ma chance en tant que jockey." Ce n’est pas sans conséquence sur l’organisation de l’écurie.
"Comme ça a marché assez vite, il a fallu que je prenne du personnel mais j’ai aussi du monde dans la cour pour continuer à monter, assure-t-il pleinement.
Si l’effectif devait continuer à augmenter, on embaucherait en fonction."
Je veux vraiment me laisser ma chance en tant que jockey.
Une démarche totalement assumée qui témoigne du caractère et de l’ambition de ce garçon de 21 ans seulement.
"Ce qui me fait lever le matin, c’est d’aller aux courses. J’arrive à tout concilier. C’est une vie à cent à l’heure. Mais, quand ça se passe bien, ça ne pose pas de problème. Maintenant je ne veux pas prendre trop de chevaux non plus car je n’ai qu’une autorisation d’entraîner et donc je n’ai pas de pension. Les chevaux sont en location. Donc il faut que ça tourne." Le bilan comptable est positif jusqu’à maintenant mais, en chef d’entreprise qu’il est devenu, Antonin André se projette plus loin :
"Je dois passer ma licence d’entraîneur public au cours du second semestre. L’écurie est restée un peu dans son jus et a besoin de vrais travaux pour aller dans le bon sens. On voudrait faire un barn et refaire la piste. Les rentrées d’argent liées aux pensions me permettront d’avoir l’esprit plus serein en sachant qu’elles couvriront ces frais-là".
Les chiffres d'Antonin André pilote
◆ 1.014 courses (821 monté/193 attelé)
◆ 86 victoires (74 monté/12 attelé)
◆ 1ère victoire : le 11/08/19 avec
Challenge Accepted (
Neutron du Cébé) au Sap
◆ 50ème victoire : le 25/09/22 avec
Halakova (Ouragan de Celland) à Évreux
Fils de… oui mais pas seulement
"J’ai toujours été le fils de… un peu comme Nicolas Bazire ou les frères Duvaldestin, même si ce n’est pas tout à fait pareil. On aime bien être soi-même et être reconnu pour ce que l’on est. C’est important. On n’est pas nos parents, estime Antonin André. Mais rendre fiers ses parents, c’est sympa."