Kiss Melody : le souvenir de la classe et de l'élégance
La grande championne que fut Kiss Melody 1’11’’ (Extreme Dream) s’est éteinte ce matin, au Haras de Retz, à Merville-Franceville (Calvados), à l’âge de 26 ans. Sous la bannière de l’Ecurie des Charmes, elle a été, historiquement, l’un des meilleurs représentants de Lucien Urano, aux soins de Pierre-Désiré Allaire et avec Dominik Locqueneux à son sulky. Il y a quelques jours, à Vincennes, son petit-fils, Brother In Arms, lui a, en quelque sorte, rendu un hommage anticipé en s’imposant dans un Groupe 3, sous les couleurs maison.
"Kiss Melody, c’était la pureté du geste, la facilité, la classe… Elle était exceptionnelle, sans doute, intrinsèquement, le meilleur cheval qu’il m’ait été donné d’entraîner." Pierre-Désiré Allaire ne tarissait pas d’éloges à propos de la fille d’Extreme Dream et Norabelle, apparentée de près à Look de Star et à Feeling Cash, deux des actuels étalons vedettes de l’ Ecurie des Charmes. Il avait pourtant eu du mal, au début, avec elle, car elle était plus souvent au galop qu’au trot. A ce sujet, il avait confié à notre confrère, Jacques Pauc, en substance : "Au Haras de Retz, dans les premiers temps, elle faisait quatre fautes par tour de piste ! En fait, elle s’est déclenchée dès lors que je l’ai emmenée à la plage. Nous la faisions marcher dans l’eau pendant des heures, afin de lui apprendre à lever et à plier les genoux. Peu à peu, elle a compris et tout s’est mis à aller dans le bon sens, avec le concours, aussi, de son driver attitré, Dominik Locqueneux, qui savait en tirer la quintessence."
Kiss Melody était pétrie de classe. Alezane, "près du sang", légère d’allures, elle alliait le style à l’élégance.
Pour autant,
Kiss Melody n’était pas de tous les jours. Lorsqu’elle était au mieux, elle était presque imprenable, mais il lui arrivait, plus souvent qu’à son tour, de commettre l’irréparable. Ainsi, en vingt-huit sorties, de 2 à 4 ans, elle a été douze fois disqualifiée ; en regard, elle a gagné à quatorze reprises et s’est classée deux fois deuxième. Sauf à être sanctionnée pour ses allures, elle n’a été battue que par deux chevaux, le crack italien
Varenne, son aîné de 3 ans, dans la Coupe du Monde de Trot (Groupe 2), au départ de laquelle elle s’aligna à 4 ans, et son contemporain
Kérido du Donjon, dans une éliminatoire du Grand Prix de l’UET. En d’autres termes, cela signifie que, sage, elle n’est jamais sortie des deux premiers. Elle était pétrie de classe ; alezane, "près du sang", légère d’allures, elle alliait le style à l’élégance.
Le témoignage de Dominik Locqueneux
Driver attitré de la championne et artisan à part entière de sa carrière, Dominik Locqueneux nous a livré ce mardi matin son sentiment à l'annonce du dernier souffle de la jument phare de l'écurie : "
C'est une page qui se tourne avec la disparition de cette jument très spéciale, avec du caractère et une réelle personnalité. Rappelons-nous qu'elle fut l'une des seules à avoir tenu tête à Varenne ! Certains avaient bien essayé mais avaient souvent fini au ralenti, pas elle. Kiss Melody faisait partie des premiers excellents chevaux que nous avons eu à gérer à l'écurie. S'il fallait retenir deux courses superbes avec elle, je dirais le Grand Prix de l'UET disputé cette année-là à Caen et toute l'équipe était présente, cela donnait un relief particulier à cette course prestigieuse. Et puis je citerai le Prix de l'Étoile car je revenais après avoir été accidenté et j'avais tout fait pour revenir en temps et en heure. Dommage qu'elle n'ait pas reproduit à son image même si elle a eu des filles qui ont reproduit meilleur qu'elle ne l'a fait".
Rappelons-nous qu'elle fut l'une des seules à avoir tenu tête à Varenne ! (D. Locqueneux)
©ScoopdygaVarenne devant Kiss Melody à Vincennes ©ScoopdygaDominik Locqueneux, Pierre-Désiré Allaire et Lucien Urano Trois Groupes 1 et six Groupes 2
Au nombre des quatorze victoires de
Kiss Melody figurent trois Groupes 1 : le Prix Capucine, aujourd’hui Prix Albert Viel, où elle surclassait
Kaisy Dream,
Kinder Jet et autres
Korean, tous vainqueurs classiques, le Prix de l’Etoile, aux dépens du même Kaisy Dream, et la finale du Grand Prix de l’UET, où elle prenait une facile revanche sur son "tombeur" de l’éliminatoire,
Kérido du Donjon. Une demi-douzaine de Groupes 2 orne également son palmarès, parmi lesquels le Prix d’Europe, devenu Prix Jean-Luc Lagardère, à Enghien, où elle défit, à 4 ans, le phénomène de Jules Lepennetier,
Général du Pommeau, alors âgé de 8 ans et handicapé de vingt-cinq mètres. Cessant sa carrière de compétitrice à la fin de son année de 4 ans, elle aura amassé un peu plus de 900.000 euros et signé un record de 1’11’’3, lors de sa place de deuxième, derrière Varenne, dans la Coupe du Monde de Trot, sur les 2.100 mètres, autostart, de la grande piste de Vincennes.
Une individualité chère à Lucien Urano
Pour Lucien Urano, le temps de
Kiss Melody était aussi celui de
First de Retz,
Gobernador,
Isadora d’Ombrée ou encore
Jaïn de Béval, lesquels lui ont apporté moult satisfactions au plus haut niveau. Mais l’homme de l’Ecurie des Charmes a toujours voué une tendresse particulière à
Kiss Melody : "
Sa première distinction dans un Groupe 1, à la faveur du Prix Capucine, a été une immense joie, avait-il insisté à l’époque,
car je suis non seulement le propriétaire, mais l’éleveur de la pouliche. Emotionnellement, c’est irremplaçable ! Et puis j’ai acheté sa mère, Norabelle, une fille du champion Buffet II, pour seulement 82.000 francs (N.D.L.R. : environ 12.000 euros),
lors d’une vente mixte, à Deauville, alors qu’elle avait 18 ans et la portait dans ses flancs. Quelques semaines plus tard naissait Kiss Melody, baptisée ainsi en référence à l’une de mes marques de vêtements pour enfants. Cela ne s’invente pas !"
Du grain à moudre
En production directe, Kiss Melody a déçu, disons-le, qualifiant six de ses onze produits –au sein desquels neuf femelles susceptibles de la continuer favorablement– et fournissant, parmi eux, trois vainqueurs, dont le meilleur fut Rose Melody 1’13’’ (Jaïn de Béval), gagnante de près de 70.000 euros. Unie à l’américain Andover Hall, elle eut Elusive Melody, inscrite au stud-book belge, petite lauréate de trois courses, mais mère de Brother In Arms 1’11’’ (Fabulous Wood), un poulain de 4 ans, à l’honneur, récemment, dans un Groupe 3, après s’être placé de Groupe 2 l’an dernier. En résumé, Kiss Melody n’est plus, mais elle ne nous laisse pas seuls.
©ScoopdygaVous avez dit aérienne ? Kiss Melody à Caen (GP de l'UET)