Le rêve exaucé de Rémi Boucret

Il y a quelques mois, dans ces mêmes colonnes, à la question de savoir quels étaient ses rêves d’éleveur, Rémi Boucret répondait : « Ce serait de courir le Prix d’Amérique ou encore de gagner un Critérium. » Son champion, Lovino Bello 1’09’’ (Village Mystic), vient d’exaucer une partie du rêve, en s’imposant, samedi, dans le Critérium des 3 Ans (Groupe 1), et peut-être exaucera-t-il aussi, le moment venu, l’autre partie… Appartenant à une famille maternelle de haute volée, le protégé de Jocelyn Robert a un profil conforme, en cela, à la volonté de son éleveur de sélectionner sa jumenterie avec la plus grande rigueur.

Pharmacien à la retraite, ayant exercé au Mans, dans la Sarthe, Rémi Boucret est éleveur sans sol, s’en remettant aux autres pour le travail de terrain. En revanche, la génétique est son affaire et le moins que l’on puisse écrire est qu’il s’y prend bien, car, depuis le début de la décennie en cours, il ne quitte pas, chaque fin d’année, au moment d’arrêter les palmarès, le podium de nos meilleurs éleveurs. Jocelyn Robert, mentor de Lovino Bello dit de lui :

"C’est un homme brillant. Ce n’est pas un homme de cheval, au sens où ce n’est pas un praticien, mais il a une lecture génétique, notamment quant à la perception des croisements et des allures, qui est hors du commun." Les choses sont, de la sorte, bien résumées et expliquent, pour une bonne part, la réussite de l’éleveur sarthois.

Rémi Boucret a construit son élevage sur des bases solides et, pour ce faire, il s’est appuyé sur les plus grandes lignées. Ainsi Tornado Bello (Jag de Bellouet), millionnaire en euros et qui fut son premier participant à un Critérium –il se classa cinquième du Critérium des 5 Ans (Groupe 1)–, est-il un fils d’Enfilade, une descendante de la matrone Somolli –d’où le crack Speedy Somolli–, génitrice du double gagnant du Prix d’Amérique, Offshore Dream. De même, Kandora Bella (Prodigious), son premier vainqueur classique, à la faveur de l’édition 2023 du Saint-Léger des Trotteurs (Groupe 1)– est-elle une arrière-petite-fille d’Enfilade.

Le pedigree maternel de Lovino Bello est d’une veine identique, remontant, tout bonnement, à Jalna IV 1’21’’ (Kairos) et à la légendaire Sa Bourbonnaise 1’23’’ (1940-Karoly II), respectivement en position de cinquième et de sixième mère. Jalna IV, elle-même compétitrice classique –lauréate du Prix Capucine, aujourd’hui Prix Albert Viel, et deuxième du Critérium des Jeunes–, est, bien sûr, la mère de l’exceptionnelle jument d’Henri Levesque, Roquépine 1’15’’ (Atus II), aux trois Prix d’Amérique, aux deux Elitloppet, aux deux Yonkers International, etc. Mais Jalna IV a également procuré Ussania 1’18’’ (Harold D III), placée du Critérium des 5 Ans, qui nous emmène jusqu’à Lovino Bello, par l’entremise de sa fille, Kinéra 1’19’’ (Beauséjour II), de sa petite-fille, Cime 1’23’’ (Firstly), et de son arrière-petite-fille, Louvina Bella (Buvetier d’Aunou), une élève, déjà, comme son nom l’indique, de Rémi Boucret. Cette dernière n’a pas couru, ni ne s’est qualifiée, et a mis bas Lovino Bello à l’âge, avancé, de 22 ans ; de quoi mettre à mal la théorie selon laquelle la qualité de la production d’une poulinière décline avec le temps. Louvina Bella a, pourtant, été sollicitée, puisqu’on lui trouve la bagatelle de seize produits entre 2005 et 2022. Dix d’entre eux sont vainqueurs –pour un gain total cumulé dépassant le million d’euros– et un onzième pourrait venir compléter la liste en Marvina Bella (The Best Madrik), qualifiée, cet été, à Laval, aux soins du même Jocelyn Robert qui veille sur son aîné et engagée ce vendredi à Vincennes ; c’est là le dernier produit répertorié de la jument.

		Love You 1'10''2	Coktail Jet 1'11''2
	Village Mystic 1'11''1		Guilty Of Love 1'17''1
		Netchka d'Orgeres 1'14''9	Full Account 1'13''2
LOVINO BELLO			Falamine
		Buvetier d'Aunou (US) 1'14''4	Royal Prestige (US)
	Louvina Bella		Nesmile 1'17''4
		Cime 1'23''8	Firstly
			Kinera 1'19''0

Le propos de Rémi Boucret illustre ce que nous venons de mettre en lumière : "Mon habitude de sélection passe par le choix de familles maternelles avec de grandes références. Je procède ainsi depuis le début. Après quoi, je ne garde pas forcément toutes les femelles, notamment celles qui ne sont pas qualifiées. Mais je fais tout de même des exceptions, lorsque les souches sont vraiment hors du commun."

Le pedigree de Lovino Bello est plutôt "outcross", ne comportant qu’un inbreeding au sein des cinq premières générations, en l’occurrence sur la matrone de Jean-Pierre Dubois, Nesmile (5x3). A ce sujet, Rémi Boucret déclarait, en substance, dans l’interview référence : "L’inbreeding peut générer des risques et il ne peut fonctionner à tous les coups. Moyennant quoi, je l’utilise, mais en faisant attention, sans en abuser. En ce qui me concerne, l’exemple de la réussite de l’inbreeding, c’est Enfilade (N.D.L.R. : voir plus haut), ma jument base, inbred 2x2 sur les propres frère et sœur, Speedy Somolli et Seascape Lobell. Cette consanguinité, très proche, a apporté beaucoup de vitesse –celle-ci étant le propre de Speedy Somolli– et je pense que c’est l’explication de la réussite de poulinière d’Enfilade."

Par essence, l’éleveur se veut modeste, car, les aléas, il connaît ; les imprévus, aussi ; et les croisements répétés qui ne donnent pas toujours ce que l’on espérait. Par définition, il n’y a pas de règle ou, plutôt, la règle est qu’il n’y en a pas. L’une des conclusions, tirées de l’expérience, de Rémi Boucret va dans ce sens : "Pour tout vous dire, je fonctionne beaucoup à l’instinct et je n’ai pas de règles pour les croisements, ni de recettes toutes prêtes." Autrement dit, selon l’adage, l’homme sage connaît ses limites et le reconnaît.