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En 2005 à Vincennes
Actualité - 17.09.2024

Avec Jean-Yves Lecuyer, un géant du trot s’en est allé

Les "Vivier" pleurent leur créateur et pygmalion tant il aura donné sa vie à ses chevaux. Jean-Yves Lecuyer s’est éteint "paisiblement", ce lundi, à l’âge de 84 ans. L’homme aura participé à l’histoire du trot français, avec un rayonnement à l’international, depuis les années 1960. Il a aussi contribué à en écrire plusieurs très belles pages, que ce soit dans la dimension compétition ou dans celle de l’élevage. Normand et fier de l’être, cet homme et chef d’entreprise était un terrien dans l’âme et un passionné d’élevage.

Jean-Yves Lecuyer n’a jamais laissé indifférent. Sa stature dominante lui allouait ce supplément de présence. Ses engagements et convictions aussi. Ceux et celles d’un homme de la terre, à la tête d’une importante entreprise rurale rayonnant, dans la Manche, sur trois fermes et cinq cents hectares. Ces dimensions de décideur et chef d’entreprise ont propulsé en patriarche un homme qui avait dû prendre très tôt ses responsabilités. Né en 1940 et devenu chef de famille dès l’âge de 17 ans, après avoir perdu son père très jeune, il reprend alors une partie de l'exploitation familiale qu’il n’aura eu de cesse de développer. Avec en filigrane, le sens de la famille. En 2017, il déclarait ainsi dans Trot Informations (n°244) : "C’est pour mes petits-enfants que je continue à avancer".
L’un de ses trois fils, Étienne Roué-Lecuyer, qui a désormais la charge de la société civile agricole du Haras du Vivier avec ses propres fils, Thibault et Thomas, nous confie à propos de son père : "C’était quelqu’un qui avait un fort caractère. Il savait s’imposer et imposer ses idées. Il va nous manquer par sa personnalité. Ses prises de positions affirmées pouvaient ne pas plaire à tout le monde mais il les disait. C’était aussi un homme très généreux et qui avait bon cœur".

Sa personnalité va nous manquer. (son fils Étienne)

Une continuité assurée
L’œuvre de Jean-Yves Lecuyer, qui a adopté les trois fils de sa seconde épouse, Vincent, Étienne et Antoine, est donc assurée. Mais comment évoluer et travailler dans le domaine d’action d’un homme qui occupe tant de place ? Étienne Roué-Lecuyer nous répond : "J’ai pour ma part trouvé ma place à ses côtés dans les chevaux en prenant la responsabilité de la station de monte qu’il m’a très vite déléguée".

Des hommages

■ Pierre Levesque : "Je garde de lui l'image d'un homme très convivial que j’ai toujours un peu fréquenté, lui qui était un ami de mon grand-père avec lequel il a fait beaucoup de commerce. C’était un homme passionné avant tout qui a monté un élevage magnifique à partir d’Ua Uka. Les anecdotes avec mon grand-père ne manquent pas. Il lui a notamment acheté Upsalin dans le ventre de sa mère et Hadol du Vivier alors qu’il venait pour acheter une jument qui s’appelait Eva du Vivier (N.D.LR. : une sœur aînée d'Hadol du Vivier). Ce jour-là, il est revenu avec 11 chevaux ! Hadol du Vivier était foal. Il avait été impressionné par son jeu de jambes."
■ Sébastien Ernault : "Je l'avais eu au téléphone il y a encore huit jours et on a parlé des courses. Il avait encore toute sa tête. C'était un vrai homme de cheval qui ne vivait que pour les chevaux et les courses. La passion d'une vie. En tout cas, on peut dire que c'était un grand éleveur. C'est une très grande perte pour nous tous."

Un amoureux de l’élevage et de la compétition
Éleveur de bovins à ses débuts, comme son frère le sera aussi, "sa passion des trotteurs l’a fait développer l’élevage équin" nous apprend son fils Étienne. "Aujourd’hui il y a toujours les deux, bovins et chevaux, à la maison."
L’élevage passionnait donc Jean-Yves Lecuyer. Celui des trotteurs sera la grande œuvre de sa vie. Il est de ce point de vue un continuateur. Son arrière-grand-père a fait naître au début du XXème siècle Hermione (Alerion), la mère de Passeport (Helder) au palmarès des Prix d’Amérique 1923 et 1924. Étienne Roué-Lecuyer nous rapporte une anecdote sur les couleurs familiales : "L’élevage et la compétition le passionnaient. Il aimait ses couleurs, foncièrement, créées par son arrière-grand-père. Il avait réussi à les récupérer auprès de la Société du Cheval Français quand il s’est installé très jeune, alors qu’elles n’avaient plus été utilisées pendant deux générations. Les couleurs comptaient beaucoup pour lui. Je me souviens d’une fois où j’avais gagné, mais il m’avait reproché de ne pas avoir porté la bonne couleur de toque. Cela était à ses yeux plus important que la victoire."

Un homme de la terre jusqu’à ses derniers jours
Jamais, Jean-Yves Lecuyer n’a décroché des courses et de son univers. Même ces derniers temps, sa santé précaire ne pourra l’empêcher de vivre sa passion. "Il a dédié sa vie aux chevaux qui étaient sa vie, ajoute Étienne Roué-Lecuyer. Le 22 juillet, il s’était encore déplacé aux courses, à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, pour assister aux débuts victorieux de Kelba du Vivier et de Lipton du Vivier, confiés à Sébastien Ernault. Il était le plus heureux des hommes et en a parlé pendant trois semaines. Il aimait aller voir ses terres, ses chevaux, ses bovins. Il l’avait encore fait il y a trois semaines."




Un homme de responsabilités
Chef d'entreprise, avec de nombreuses responsabilités dans l'Institution du trot, à tous les niveaux (local, régional et national), Jean-Yves Lecuyer a aussi été pendant deux décennies le maire de sa commune, Houesville. Localement, son mandat de Président de la Société des courses de Cherbourg, de 1991 à 2004, a été important nous rappelle l'actuel Président Jean-Philippe Massieu : "À Cherbourg, il a pris la présidence en 1991, un an après l’inauguration du nouvel hippodrome à La Glacerie, et il a occupé cette fonction jusqu’en 2014. Il a été le garant de la bonne gestion de l’association à une époque où les sociétés de courses de province n’avaient pas encore de réunions Premium. Il a eu un rôle primordial et a contribué, comme toutes les équipes en place depuis, à améliorer les structures de l’hippodrome." Au sujet de ses mandats, Pierre Levesque ajoute : "Il s’est toujours investi au niveau de la SECF. Il a été élu au niveau du Comité Régional, il s’est beaucoup investi pour Grosbois. Il a été Président de Cherbourg. Il aimait tout ce qui était bien fait. Il se donnait les moyens pour avoir des produits d’excellence. C’était un bénévole engagé. Il était franc, avec des idées. C’est une figure du département de la Manche. Il était éleveur avant tout, mais il a tout fait. C’est bien que le Haras du Vivier continue, il a su transmettre. Dans la Manche, le Haras du Vivier fait partie intégrante du paysage."

Il aimait tout ce qui était bien fait. (Pierre Levesque)

Une figure de la Manche
Personnalité de la Manche, grande figure du département. Telles sont les formules qui reviennent souvent dans la bouche de ceux qui lui rendent hommage. Comme Jean-Philippe Massieu : "Avec sa disparition, c’est une grande figure du monde agricole de la Manche et du Trotteur Français en France et à l’étranger qui nous quitte. Il a créé l’un des plus grands élevages d’Europe de trotteurs. Il avait l’élevage en lui, que ce soit les chevaux, les bovins, les ovins, etc. Il était très attaché à la terre. C’était vraiment un grand personnage, profondément terrien. C’était aussi un grand chef d’entreprise qui allait toujours de l’avant. Il voyait grand et pensait qu’il fallait toujours avancer."


Hadol du Vivier remporte l'Elitloppet 1978

Une grande page de l'histoire du trot français

Quand il récupère à son nom Ua Uka (Kerjacques) à l'âge de 3 ans, après l’avoir entraînée pour le compte d’un notaire parisien, Jean-Pierre Delarue, Jean-Yves Lecuyer n’a pas encore 30 ans. Avec elle, il reçoit les fonts baptismaux d’un élevage d’exception. Il ne manquera pas son rendez-vous d’éleveur avec l’histoire en la mariant au mieux. "Ua Uka était une petite jument nerveuse avec des très belles allures. Il a fait ses croisements avec elle en cherchant des étalons avec un peu de taille et calmes", nous précise Étienne Roué-Lecuyer. Dans la saga d'élevage de Trot Informations n°244, en juin 2017, Jean-Yves Lecuyer dira : "Ua Uka est la plus grande poulinière Trotteur Français qui ait existé." Pourtant, parallèlement, il développe une approche d’élevage centrée sur l’étalon : "En élevage, le père est plus important que la mère. Combien a-t-on vu de cracks issus de mauvais étalons croisés avec des mères considérées comme très bonnes reproductrices ? (Pas ou peu) Tandis qu’a contrario, un étalon qui produit excellemment le fait avec toute une palette de juments. C’et la même chose qu’en élevage bovin."

Un observateur né et les "croisements par les yeux"
"C’était un homme de cheval qui regardait les allures. Jusqu’au bout de sa vie, il a regardé les courses sur Equidia. Il donnait toujours son avis sur les chevaux, sur leur façon de bouger", nous rapporte son fils Étienne. Quand on l’interrogeait sur le secret de la réussite des "Vivier" dans Trot Informations en 1999, Jean-Yves Lecuyer rétorque : "Il n’y a pas de secret mais une volonté d’observer, de détailler et d’en tirer les conclusions qui s’imposent. J’aime bien dire que je fais mes croisements avec les yeux ; entendez par là que j’"harmonise" les qualités de la mère et celles du père en fonction de ce que je connais d’eux : modèle, allures, caractère, courants de sang."

Les Sept merveilles de Jean-Yves Lecuyer

Upsalin : cet élève de Jean-Yves Lecuyer, acheté et exploité par Henri Levesque, a été un champion (Critériums des 4 Ans et des 5 Ans, Prix du Président de la République, d’Amérique).
Ua Uka : après l’avoir entraînée (il dira dans une saga d’élevage de Trot Informations : "Elle n’était pas grande, devant mesurer 1,58-1,59 m. Elle était très distinguée, musclée, avec beaucoup d’influx nerveux, bien faite mais pas très forte, avec de belles allures, ni grandes, ni petites"), elle est devenue la fondation de l’élevage "du Vivier", produisant deux cracks sur les pistes (Fakir du Vivier et Hadol du Vivier) et deux étalons qui seront numéros 1 français (Fakir du Vivier en 1994 et Jet du Vivier en 1995 et 2001).
Fakir du Vivier : ses allures incomparables, tout en légèreté, et son port de tête l’ont rendu unique. À son palmarès (entre autres) : Prix René Ballière (en battant Béllino II), Critériums des 3 Ans, des 4 Ans et Continental, Gran Premio d’Europa, 2e, 3e et 4e du Prix d’Amérique, etc.
Hadol du Vivier : longtemps considéré comme le meilleur 3 et 4 ans de l’histoire (en France) avec 23 victoires en 24 sorties. À son palmarès (entre autres) : Elitloppet, Prix de France, René Ballière, Critériums des 3 Ans, des 4 ans et Continental, Gran Premio d’Europa, Prix des Géants, etc.
Jet du Vivier : modeste en courses, ce propre-frère de Fakir du Vivier est devenu deux fois tête de liste des étalons en France.
Cèdre du Vivier : classique (2ème du Critérium des 4 Ans, du Prix de Paris à 6 ans), a remporté la Finale du GNT en 1995, une victoire marquante pour Jean-Yves Lecuyer.
Hand du Vivier : doué mais fragile, il a été un 4 ans étincelant, échouant néanmoins dans tous les classiques.

Autres candidat(e)s au titre de merveille :
Eva du Vivier (Prince des Veys) : premier produit de Ua Uka qui deviendra à son tour une grande reproductrice en direct (mère de Kronos du Vivier et Nicos du Vivier) ou par la descendance de ses filles
Jeanbat du Vivier (Coktail Jet - 851.722 € de gains)
Ustinof du Vivier (Look de Star - 1.150.890 €).

Un hommage

■ Jean-Pierre Thomain : "Avec sa disparition, c’est une grande page qui se tourne. Je garde beaucoup de très bons souvenirs de notre collaboration qui a duré une vingtaine d’années, pendant laquelle j’ai eu la chance d’être associé à de très nombreux grands chevaux. Les noms de Kronos du Vivier, Cèdre du Vivier ou encore Hand du Vivier me viennent tout de suite à l’esprit. On a vécu ensemble de grands moments et partagé de grandes victoires dans des Groupes. Je me rappelle entre autres de la victoire en 1995 dans la Finale du Grand National du Trot de Cèdre du Vivier qui avait beaucoup d’importance à ses yeux, lui qui était très attaché à la province."
© Aprh
Fakir du Vivier, une pépite de l'élevage

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