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Actualité - 20.03.2021

GénoTrot : nouvelles connaissances et base d’un futur différent

Le TROT, l’INRAE et l’IFCE viennent de publier une étude qui propose une cartographie élargie du génome du Trotteur Français sous l’angle de ses performances et allures. Baptisée GénoTrot, l’étude, qui constitue la plus vaste base de connaissance actuelle sur le génome de la race, a mobilisé plus de trois ans d’étude. Elle apporte de nouvelles données sur des contenus du génome – les régions génomiques – qui sont corrélés aux performances des individus trotteurs. Et elle lance simultanément la possibilité de changer d’époque dans le contrôle de filiation de la race. GénoTrot se lit selon une double temporalité, à la fois sur le court et le long terme.

Commençons par une définition, la plus commune admise de la génomique : « science qui étudie le génome, c'est-à-dire l’ADN contenu dans les chromosomes et en particulier les gênes. » Anne Ricard est chercheuse en génétique équine à l’IFCE (Institut Français du Cheval et de l’Equitation) et détachée à l’INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’alimentation et la Recherche). C’est elle qui a conduit l’étude GénoTrot avec Arnaud Duluard, vétérinaire conseil et chef du Département Élevage et Santé Animale de LeTROT. Anne Ricard nous précise encore sur la génomique : « C’est le décodage de l’ADN, les molécules qui contiennent et codent toute l’information transmise des parents aux descendants. La génomique cherche à décoder l’ADN et à le relier à des caractères visibles comme la morphologie (NDLRL : dans ce cas on parle de génétique phénotypique), les performances, etc. » L'étude GénoTrot met en lumière des corrélations entre des régions du génome qui entraînent telle ou telle conséquence sur la performance trotteuse mais sans les expliquer. En termes de méthode, on est là dans une démarche d'observation et d'analyse, construite sur l'étude des corrélations et interactions par l'utilisation des grands nombres (grand nombre de données).

La génomique et le cheval
Le séquençage d’ADN du cheval a commencé au début des années 2000 « avec le séquençage complet d’un pur-sang anglais suivant la même technique que celle utilisée pour l’humain. » À partir de 2010, le développement d’outils pratiques et économiquement accessibles ont permis de travailler plus intensément sur l’ADN du cheval. Il s’agit donc d’un mouvement de recherche récent. GénoTrot est la continuité d’une étude menée en 2014 sur l’effet du gène DRMT3, chez les Trotteurs Français. Un travail de recherche déjà conduit par Anne Ricard et Arnaud Duluard, lequel précise : « On a démarré la première étude en 2014 dans un contexte international. Il fallait que nous restions à la pointe et que nous puissions nous ouvrir vers l’avenir car, inévitablement, ce type d’outil complémentaire va prendre une place de plus en plus importante dans le futur avec notamment des coûts des tests qui vont baisser et qui sont déjà devenus très abordables. »
Lien vers l'étude complète en Anglais. Lien vers sa synthèse en Français.

Le contexte : tout part du gène DMRT3
En 2012, une équipe de recherche suédoise a découvert l'existence d'un gène ayant un effet majeur sur les allures, le gène DMRT3, sur le chromosome 23. Dans le Standardbred américain, la mutation qui consiste en un remplacement de la cytosine (C) par l'adénine (A) de ce gène est fixée. Ainsi le génotype à DMRT3 de tous les Standardbred américains est AA. Cependant, dans d'autres races de trotteurs, il y a toujours un polymorphisme. C’est le cas pour le Trotteur Français pour lequel la fréquence de l'allèle A a été estimée à 76 %. Il existe donc des Trotteurs Français dont le génotype à DMRT3 est CA ou CC.
L'effet positif de l'allèle A sur les performances en course n'a pas toujours été démontré dans toutes les races de trotteurs. L'effet dépend de la nature de la performance de course mesurée (par exemple, précoce ou non) et de l'association de A avec C (cas d’un génotype hétérozygote). Pour le Trotteur Français, la stratégie de sélection pour augmenter la fréquence de l'allèle A n'est pas simple car il a été constaté dans une étude réalisée précédemment par l’INRA et Le Trot que le génotype AC avait des gains plus élevés par course terminée après l'âge de 4 ans (Anne Ricard, 2015).


Les objectifs de GénoTrot
Conduite sur plus de trois ans, GénoTrot combine plusieurs objectifs dont les principaux sont les suivants :
■ Vérifier sur un plus grand nombre de chevaux les résultats obtenus lors d’une première étude qui avait été réalisée en 2014 pour déterminer les effets du génotype au gène DMRT3 sur les allures et les performances au Trot ;
■ Déterminer l'importance des caractéristiques des allures sur les performances en course ;
■ Identifier d'autres régions chromosomiques que le gène DMRT3 où sont localisés un ou plusieurs gènes ayant une influence sur les allures ou les performances en course. Ces régions plus ou moins grandes d'ADN étroitement associées à un caractère quantitatif sont appelées QTL (Quantitative Trait Locus).
Arnaud Duluard décrit le projet selon une métaphore géographique : « La génomique renvoie à une notion de cartographie. À partir d’une carte générale, on travaille ensuite sur des zones spéciales qu’on associe à des puces. On a travaillé sur 600 000 repères de la carte comme s’il s’agissait de 600 000 « villes » ou régions sur la carte du monde qu’on a répertoriée. La « ville » que l’on connaissait bien était le DRMT3 pour le trotteur et on s’est demandé s’il n’y avait pas d’autres régions qui seraient intéressantes pour le Trotteur Français. Et notamment des « villes » ou régions du génome qui seraient associées de façon significative à des caractères soit de performance, soit d’allures (la façon de trotter). »

La génomique et la complexité de la performance équine
Comment aborder et quantifier la (les) performance(s) d'un trotteur dans une étude ? Arnaud Duluard nous éclaire sur ce point : « Il y a une complexité très forte sur le cheval quand on parle de performance. Par exemple, chez le bovin laitier, il y a un caractère assez bien déterminé sur la production laitière que l'on mesure en quantité et en qualité avec quelques indicateurs. La performance est une notion infiniment plus complexe à définir qu’il nous a fallu sérier par de très nombreux paramètres incluant une incidence de l’environnement importante (alimentation, pathologie, façon d’entraîner, etc.). Tout cela a une influence très en complément de l’information génétique elle-même. » Anne Ricard ajoute pour sa part : « Travailler sur la performance, qui est complexe dans son expression, complexe dans sa création, est quelque chose de difficile. »


Travailler sur la performance, qui est complexe dans son expression, complexe dans sa création, est quelque chose de difficile.
Anne Ricard

© Anne Ricard
Les repères sur l’étude GénoTrot
■ 1 400 chevaux génotypés
■ Étude comparée des performances des 1 400 chevaux génotypés avec une population globale de plus de 300 000 chevaux. « C’est un gros brassage de données » commente Anne Ricard ;
■ Étude rendue publique par l’INRAE. Lien à sa publication dans la revue Journal of Animal Breeding and Genetic (à Comité de lecture). Lien à une synthèse en français.
Conséquences du caractère public de l’étude : impossibilité de déposer des brevets sur les zones génomiques rendues publiques dans GénoTrot. Il s’agit de la politique de l’INRAE de ne pas déposer de brevet et de mettre dans le domaine public le résultat de ses recherches pour en faire bénéficier le plus grand nombre hors de toute considération commerciale.
■ Cofinancement : IFCE, INRAE, LeTROT et Fonds Éperon

Ce qu’apprend GénoTrot
« Cette étude a permis à la fois de consolider notre première étude de 2014 et de trouver de nouveaux gènes [NDLR : au nombre de 25] ayant une incidence sur les performances et les allures », commente Anne Ricard. « L’étude a permis l’affiner la logique de l’action du DMRT3, un gène qui a une action très forte sur la qualification et les performances précoces mais qui ne se révèle pas très pertinent pour les chevaux de 4 ans et plus et pour les courses au monté. Les recherches ont aussi permis de prouver qu’il y a d’autres gènes pertinents en d’autres endroits du génome que le DRMT3. C’est prometteur et intéressant et il va falloir les creuser. En utilisant plus d’informations du génome – dans le cas de GénoTrot, on avait 600 000 marqueurs –, on arrive à améliorer clairement nos outils pour sélectionner le trotteur français. Quand je dis cela, c’est pour aider à choisir des directions mais le choix des directions n’est pas du ressort de l’étude évidemment. »
Les données de GénoTrot ne doivent pas être prises dans une logique prédictive. L’étude ne permet concrètement pas de créer un croisement qui va donner un champion mais permet d’affiner le bagage génétique des produits imaginés par les éleveurs comme l'explique Anne Ricard : « On n’a pas travaillé spécifiquement sur les combinaisons père-mère mais on peut choisir plus facilement le père et la mère avec toute l’information génomique que l’on a sur eux. »

25 nouvelles régions du génome qui impactent la performance trotteuse
Arnaud Duluard : « On a identifié 25 QTL, c’est-à-dire des régions du génomes que nous avons cartographiées, qui ont une incidence sur un ou plusieurs paramètres de la performance. Sur certains de ces 25 QTL, ce sont plusieurs paramètres de la performance qui sont liées. Par exemple sur le chromosome 18, il y a un QTL qui se concrétise par les gains par course terminée à 2 ans, à 3 ans, à 4 ans et de 5 à 10 ans qui sont significativement supérieurs. Pour la façon de trotter, on a identifié 9 régions génomiques qui ont une incidence. Sur le chromosome 6, on a localisé une région ayant un lien très fort avec la capacité à se mettre au galop et donc à être fautif. Si on décidait d’intervenir pour que la fréquence du génotype avec le gène concerné diminue, on imagine bien qu’on pourrait avoir une incidence sur le fait que nos chevaux soient de moins en moins fautifs. De ce point de vue, cela peut devenir des outils qui mériteraient d’être creusés dès lors qu’il y a un choix en ce sens fait sur la race. »


La génomique est un outil complémentaire dans une démarche de sélection et de stud-book. Ce n’est pas l’alpha et l’oméga.
Arnaud Duluard

© Arnaud Duluard

Le grand enjeu de demain : nouvelle génération de puces avec contenu génotypique
Les informations que l’on commence donc à connaître sur le génome trotteur pourraient être rattachées à la carte d’identité de chaque individu. Or parler de carte d’identité pour un équidé revient à parler du livret signalétique ou, dans sa version la plus moderne, de sa puce signalétique. Voilà le grand enjeu de demain, selon Arnaud Duluard : « On pourrait insérer sur les puces d’identification, qui ne servent aujourd’hui qu’au contrôle de filiation, les QTL (régions génomiques) que l’on a identifiés et ainsi donner à tous les éleveurs les informations de génotype de chaque poulain. C’est un sujet important dont on devrait parler prochainement en commission d’élevage et de stud-book. »

L’impact du nombre sur le coût du génotypage
Ajouter au contrôle de filiation réalisé aujourd'hui des informations génotypiques en utilisant la technologie mise en oeuvre dans Génotrot ouvrirait des perspectives de sélection et économiques intéressantes, surtout si la technologie trouve un écho dans d'autres races équines. Et Anne Ricard et Arnaud Duluard de préciser sur le sujet : « Le coût unitaire du génotypage dépend des effectifs qu’on veut génotyper. Si le Trotteur Français est partant, si le Selle Français aussi, pour le même genre de raisons, et les pur sang arabes pour l’endurance également, alors on pourrait avoir plusieurs milliers de chevaux. Dans ce cas de figure, le prix du génotypage pourrait énormément baisser et, pourquoi pas, être entre 20 et 30 euros ou quelque chose de cet ordre. Ça devient abordable et assez comparable à ce qu’on paie aujourd’hui pour un contrôle de filiation (NDLR : réalisé aujourd'hui avec une prise de sang et dont le stockage peut représenter un coût important). » De son côté, Arnaud Duluard analyse : « Dans mes discussions informelles, il ressort que d’autres races sont intéressées aussi pour améliorer certains caractères de leur race. Il y a une réaction simultanée actuellement sur le sujet. Si on imaginait que le Trotteur y aille (10 000 naissances par an) et qu’on ajoute le Selle Français (un petit moins que 10 000), le pur sang (7 000), alors le prix des puces baisserait. Et toutes les connaissances acquises dans GénoTrot bénéficieront aussi aux autres races quand elles vont s’intéresser à certaines zones de leur génome pour tel ou tel paramètre. GénoTrot va servir à l’ensemble de la filière. »

Un bagage supplémentaire de connaissance et une documentation pour la décision de chacun
Parler de gènes et génome dans le cadre d’une race et de son amélioration ne renvoie t-il pas à une forme de déterminisme scientifique, froid et aveugle ? Ne met-on pas ici nos pas sur un territoire dangereux qui, à terme, détruirait la « glorieuse incertitude de l’élevage et des courses » ? Non, répondent et argumentent clairement Arnaud Duluard et Anne Ricard. Pour le premier : « Ce type d’étude n’est pas l’alpha et l’oméga de la sélection. Ce ne sont que des outils complémentaires dans le but de mettre à disposition de tous les informations dont on dispose aujourd’hui par la science. Il y a un vrai travail d’information des éleveurs et des professionnels à faire sur la génomique. C’est un domaine très nouveau et les gens voient cela comme des manipulations génétiques parfois, ce qui n’est pas le cas. On prend de l’information, on établit des corrélations et on voit si cela est pertinent ou pas. Il reste à faire un important travail de vulgarisation, de décryptage et d’information juste avec en corollaires les questions : qu’est-ce que la génomique peut nous apporter ? Qu’est-ce qu’elle peut ne pas nous donner. ? La génomique est un outil complémentaire dans une démarche de sélection et de stud-book. On est dans un virage à prendre ou pas. »
De son côté, Anne Ricard insiste sur la complexité du réel et du vivant, loué par tous les épistémologues et philosophes des sciences : « Ce n’est pas parce qu’on augmente les connaissances qu’on détruit la complexité. La complexité de performance d’un cheval de course, dans des conditions extrêmement variées, demeure – avec ou sans génomique et avec ou sans nos travaux. Nous, ce qu’on donne, ce sont des outils pour que les gens puissent combiner leurs connaissances et leurs objectifs avec plus de références et d’informations. On rajoute une couche à la connaissance des pedigrees et des performances. À chacun de jouer avec tout cela. »

Augmenter la puissance des études à venir
Au bénéfice du projet de passage à la puce génomique [lire début de page], les considérations de recherche et d’acquisition de nouvelles connaissances font aussi leur retour. Le responsable élevage de LeTROT argumente : « Si on fait de la science-fiction et qu’on imagine qu’il y a un accord pour utiliser le contrôle de filiation pour faire de la génomique et regarder nos repères (ceux de l’étude GénoTrot), cela veut dire qu’on aurait 10 000 génomes par an [NDLR : sachant tous les produits seraient génotypés, soit grosso modo 10 000 trotteurs par an]. Au bout de cinq ans, on pourrait travailler sur l’information génétique de 50 000 chevaux. Là, ce serait très intéressant. Cela permettrait de vérifier et valider nos conclusions actuelles sur nos 1 400 individus. Et on découvrirait d’autres zones génomiques intéressantes pour les performances ou d’autres caractères. » Même enthousiasme dans les propos d’Anne Ricard : « Avec un échantillon de 1 400 chevaux, on manque un peu de « puissance » dans nos études. On ne peut mettre en évidence que des choses qui sont grosses, seules visibles avec notre panel. Si on passait à 50 000, ce ne serait pas comparable. Il reste que notre étude est statistiquement représentative et répond à tous les critères d’exigence scientifique pour être publiée. »

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