La retentissante victoire de Don Fanucci Zet 1’08’’, dimanche, dans l’Elitloppet, met l’accent sur le grandissant attrait de l’élevage trotteur suédois pour les lignées ambleuses, sachant que le fils de Hard Livin est issu d’une mère ambleuse. Similairement, Power 1’11’’, autre champion scandinave, vainqueur du Grand Prix de l’U.E.T, l’automne dernier, à Vincennes, appartient à une lignée mâle ambleuse, son père, Googoo Gaagaa, étant par l’étalon « pacer » Cam’s Rocket. La présente démarche de nos voisins d’Europe du Nord n’est pas sans rappeler celle qui fut la nôtre, dans les années 1950 et 1960, lorsque nous allions chercher des pur-sang pour obtenir quelques-uns de nos meilleurs trotteurs.
Peu avant l’an 2000, Paul Viel, dans un entretien qu’il avait accordé à la revue « Trot Informations », déplorait l’interdiction prononcée à l’encontre des « mariages mixtes », entre pur-sang et trotteurs, lançant alors, à la cantonade : « Un petit coup de Northern Dancer, injecté dans notre cheptel trotteur, n’aurait sûrement pas été nuisible… » Faire saillir une jument trotteuse par un étalon pur-sang ou bien une jument pur-sang par un étalon trotteur : voilà qui paraît, aujourd’hui, bien incongru.
Et, pourtant, ce sont des croisements comme ceux-là qui ont contribué, d’abord, à fonder la race, au XIXe siècle –où le recours aux pur-sang anglais allégea, affina et, au bout du compte, améliora celle-ci–, puis lui ont procuré quelques-uns de ses fleurons, au vingtième siècle, à commencer par un certain Jamin, crack absolu, le premier à battre les Américains chez eux, sur le mile, étant surnommé là-bas « death’s creeping », autrement dit « la mort qui rampe », en référence à ses grandes allures, rampantes, telles celles d’un félin fondant sur sa proie. Jamin était doté d’une vitesse exceptionnelle, ayant trotté 1’14’’ dans les années 1950, voire 1’13’’, dans une tentative de record en solitaire.
Or, tout laisse à penser qu’il tenait cette vélocité, pour l’essentiel, de sa grand-mère, la jument pur-sang Gladys (1931-Craig An Eran), qui avait gagné sur l’hippodrome de galop de Saint-Cloud, avant-guerre !
Donner un coup de jeune aux souches
Il faut replacer les choses dans leur contexte. A l’époque de Jamin, le « sang neuf » ne pouvait être américain, puisque le stud-book français était fermé. Pour les éleveurs souhaitant donner un coup de jeune à leur souche, la solution était donc d’introduire une jument pur-sang dans leur effectif, ce que firent les Olry-Roederer avec Gladys, qu’ils marièrent à leur chef de race, Hernani III, pour en obtenir Dladys. Celle-ci fut essayée au trot, mais cela ne donna rien. En revanche, comme poulinière, quelle réussite !
Jamin, donc (deux Prix d’Amérique, trois Prix de France, deux Prix de Paris, trois Critériums, trois Prix de Sélection, un Prix de l’Etoile, un Grand Critérium de Vitesse de la Côte d’Azur, un Critérium International d’Enghien, un Elitloppet, un Championnat du Monde, un American Trotting Championship, qu’il est le seul trotteur français à avoir gagné…), mais aussi Odysner (trois semi-classiques, triple placé de Groupe I) et, plus encore, Quérido II (deux « Cornulier », deux Prix de France, deux Prix de Paris, le « Président », un Prix des Elites, troisième du Prix d’Amérique), sans oublier la pouliche Ninia (Abner), propre sœur de Jamin et d’Odysner, là où Quérido II était par Fandango, et future mère des propres frères, par Feu Follet X, Tabriz (deux « Cornulier », un Prix de l’Ile-de-France, un Prix des Centaures, le Prix de Vincennes, le « Président », le Prix de Normandie, troisième du Prix d’Amérique) et Caprior, qui allait faire le bonheur d’éleveur de Jean-Pierre Dubois.
Une recette qui donne des résultats
En deux générations, on faisait ainsi d’une lignée pur-sang une fameuse famille trotteuse ! A partir d’une jument bien née, cela étant, petite-fille du champion et étalon de premier ordre Gainsborough (Triple Couronne britannique ; Gold Cup d’Ascot ; père du chef de race Hyperion). Un Gainsborough qui se trouve être également le grand-père de Missoulette (1950-Winterhalter), autre jument pur-sang s’étant tournée vers les trotteurs, pour le compte des Ballière, cette fois, qui en eurent, des œuvres de leur crack étalon Fandango, une nommée Nubie, appelée à devenir la mère de leur championne Vismie (Nivôse), multiple gagnante de Groupe II et placée de Groupe I, notamment du Prix d’Amérique, d’où les semi-classiques Milliard, Fetch, etc.
Un petit coup de Northern Dancer, injecté dans notre cheptel trotteur, n’aurait sûrement pas été nuisible…
Paul Viel
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